Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/705

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont je sais peu d’exemples. Pas le moindre tapage, — quelle occasion pourtant ! — et, jusqu’à l’explosion finale, presque pas de bruit. Une force intérieure anime toute la symphonie, intùs alit, et cette force agit sur nous, en nous, avec d’autant plus d’efficace, qu’au lieu de se répandre et de se perdre à l’extérieur, c’est au dedans qu’elle se ramasse et qu’elle donne tout entière.

Aussi bien le troisième acte de la Fille de Roland nous paraît, comme dirait Maurice Barrès, un des « hauts moments sonores » de la partition de M. Rabaud et de notre moderne théâtre lyrique. Et ce moment, qui est si beau, s’arrête, ou se prolonge. On en jouit à loisir et le plaisir qu’il donne est de plus d’une sorte. Active et contemplative, ou, comme diraient les pédants, dynamique et statique, la musique prend ici tour à tour l’un et l’autre caractère. A la grande figure de Charlemagne elle donne toute sa grandeur, faite tantôt de majesté, de méditation profonde, et tantôt du plus chaleureux lyrisme. Pour exprimer, au début de l’acte, l’accablement du vieil empereur courbé sous le faix des années, de la douleur, et d’une honte que renouvelle chaque jour l’insolent défi du païen, le musicien a su trouver de beaux rythmes, tristes et lents, de mornes cantilènes d’orchestre, où la voix de basse ajoute çà et là des notes et comme des touches non moins sombres. Mais voici que Gérald a vaincu le Sarrazin et que retentit l’annonce de sa victoire. Il fallait ici frapper un grand coup. La musique en a frappé deux, qui se suivent, ne se ressemblent pas, mais qui s’égalent en force comme en beauté. Ce sont deux mouvements de joie, d’une joie qui d’abord se contient et pour ainsi dire se renferme, joie recueillie et religieuse, pour se déployer ensuite et se donner carrière. Une longue et magnifique période commence par une invocation, ou plutôt un hommage à la France immortelle. Et qu’un simple trémolo l’accompagne, un de ces trémolos dont Wagner lui-même n’a pas toujours dédaigné l’effet, cela n’ôte rien à la puissance oratoire et musicale de la noble action de grâces. Gérald alors survient. Il porte les deux épées, dont l’une a vengé l’autre et l’a reconquise. « Sire, voici Joyeuse et voici Durandal. » Ce n’est guère qu’un cri, mais d’une très musicale beauté. Beau par l’élan ou l’ictus rythmique, il l’est encore par son entrée soudaine, éclatante dans le ton où va se dérouler aussitôt, mélodique et symphonique, orchestrale et vocale, une vraiment admirable prosopopée. Cette musique-là ne serait pas indigne de l’épigraphe beethovenienne : « Venue du cœur, puisse-t-elle aller au cœur ! » Il semble impossible qu’elle n’aille pas au cœur de tout musicien, de tout Français, et