Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/704

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sujets, achève, ou couronne l’étincelant Marouf. Au début comme à la fin d’une partition, nous aimons cet hommage de la musique de théâtre à la musique tout court. Mais voilà ! Pour le lui rendre il faut un bon, un véritable musicien, un de ceux, comme dit l’Écriture, qui ambulant in lege Domini, qui connaissent les lois de leur art, les respectent, les suivent, et qui, tout ensemble obéissants et libres, se meuvent en elles, et qu’elles n’oppriment pas.

M. Rabaud est de ceux-là Des pages telles que les premières abondent en son œuvre. Elles en établissent d’abord, puis en soutiennent jusqu’au bout le caractère et la beauté classique. Partout ici l’orchestre se fait une place et cette place n’est pas petite. Non seulement l’orchestre, mais la symphonie, voire la symphonie avec chœurs, longuement et largement développée. Non pas la symphonie « infinie, » comme certaine mélodie que naguère on nommait de ce nom. Très définie au contraire, et lors même que le sentiment l’anime et l’exalte, ordonnée, conduite et contenue par la raison. Avec cela, jamais cette musique ne se désintéresse de l’action ni ne l’oublie. Et sans doute il nous plaît qu’elle l’accompagne et qu’elle la représente avec fidélité. Mais nous sommes heureux aussi de pouvoir l’admirer pour elle-même, pour elle seule. C’est en effet une chose admirable, qu’un Allemand, je ne sais plus lequel, a qualifiée, à l’allemande, en ces termes affreux, même traduits : « l’intelligibilité et la souveraineté en soi de la musique pure. »

Mais au moins, de la sagesse et de la raison de cette musique, n’allez pas conclure à son insensibilité. Elle aime les passions nobles et les exprime avec noblesse, plus d’une fois même avec enthousiasme. Elle n’a rien que de généreux et de magnanime. Qui voudrait faire ou refaire une étude de l’héroïsme dans la musique ne saurait oublier la Fille de Roland. La bravoure, et guerrière, que la musique a toujours lieu de craindre, ne tombe jamais ici dans l’emphase ou la vulgarité. Cette réserve, cette discrétion, cette distinction, qui n’ôté rien à la puissance, est rare. Les détails même, ou les dehors, échappent à la trivialité. Par exemple, la première entrée de Gérald n’a que le caractère d’une mâle élégance. L’orchestre fait ici tout autre chose que boum-boum ou taratata. L’appel même, l’appel obligé des trompettes n’a rien de banal. Un frisson des instruments à cordes en atténue la rudesse et l’enveloppe de poésie.

Au troisième acte, avant le combat avec le Sarrazin, une nouvelle entrée de Gérald a plus d’éclat encore et non moins de sobriété. Quant au combat lui-même, l’orchestre le mène avec une maîtrise