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la civilisation. La barbarie n’est pas un état ancien, périmé, aboli de l’humanité, mais un état permanent. M. Paul Bourget, dans la préface de ses Nouvelles pages, revendique, — et il le mérite, — l’honneur de n’avoir pas méconnu ce principe du citoyen, littérateur aussi : défendre la civilisation.

Si l’on demande ce que fait la littérature, en telle occurrence, et comment elle supplée ou seconde l’homme d’État, le législateur ou les divers meneurs de foule, eh bien ! elle ne prétend pas les suppléer. M. Paul Bourget confesse qu’il « a toujours répugné aux luttes peu intellectuelles de la vie politique ; » il n’a jamais siégé dans une assemblée. Peu s’en faut qu’il ne reproche à Taine d’avoir été conseiller municipal d’un village : « l’ouvrier de pensée doit s’abstenir de l’action. » Mais si le littérateur ne recherche pas du tout la place du politicien, son œuvre peut et, le pouvant, doit seconder l’homme d’État.

La littérature, le roman ? Oui. La littérature est « une psychologie vivante ; » et, n’est-ce pas ? tout dérive de la psychologie. Le romancier peint les mœurs contemporaines. Il observe et il explique. Le romancier digne de ce nom n’évite pas de conclure. Sa conclusion n’est qu’une hypothèse ? « L’hypothèse est le procédé scientifique par excellence. Les romanciers d’observation se comparent aux cliniciens. Or, quelle est l’attitude du clinicien au chevet du malade ? Il n’admet pas que l’on tire d’un cas particulier une loi générale : il conclut pourtant, et c’est là proprement en quoi consiste le diagnostic. » Il y a de bons et de mauvais diagnostics. Les diagnostics d’un romancier tel que Balzac prouvent, avec le temps, leur justesse. Les chapitres que M. Paul Bourget consacre à l’œuvre balzacienne montrent l’étonnante perspicacité de Balzac et montrent que Balzac ne jugeait pas seulement son époque, mais devinait et annonçait la suite de l’erreur contemporaine, donnait à redouter notre époque.

La littérature invente et propage des idées. Toutes les idées sont génératrices d’activité, sont par conséquent génératrices de faits. Il y a des idées belles et des idées laides : c’est affaire d’esthétique. Il y a des idées vraies et des idées fausses : c’est affaire d’expérimentation, de dialectique ou même, hélas ! de métaphysique. Et il y a des idées bienfaisantes et des idées néfastes. L’on peut se placer aux différents points de vue de l’esthétique, de la métaphysique ou de l’utilité sociale. Ce dernier souci n’est jamais négligeable ; et il l’emporte sur les autres, si l’on vient à observer que les idées néfastes sont généralement laides et fausses. Voyez s’il en est ainsi.