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de hasard ; et l’on invente des mots inutiles, faute d’avoir analysé un peu sa pensée : l’on s’apercevrait alors que notre langue est assez riche pour procurer à toute idée française une expression française. Un écrivain qui s’aviserait d’écrire à la perfection, — j’entends, selon l’usage véritable de la langue, — serait bientôt incompréhensible. En attendant, on l’accuserait de « pasticher » le XVIIe siècle. Voilà pourquoi je ne crois pas très opportun de louer jusqu’aux négligences de Balzac ou de Stendhal.

S’il ne s’agit que d’interdire au romancier, — comme à toute sorte d’écrivains, — le « fignolage » et la « ciselure, » enfin l’écriture artiste, M. Bourget certes a bien raison. Ce qu’il demande, c’est au bout du compte le naturel. L’auteur de Marius l’Épicurien, Walter Pater, qu’approuve M. Paul Bourget, reprochait à Flaubert un « style fabriqué. » Sans aucun doute, un style naturel vaut mieux. Mais regardons-y à deux fois. Et ne confondons pas le style naturel et une façon d’écrire « à la va vite, » que blâme, dans le vieux Dumas, M. Bourget. Ne feignons pas de croire que le style naturel soit exactement spontané, surtout à notre époque. Je n’ose dire, et je dirai pourtant qu’il n’est de style que fabriqué. La merveille serait que la fabrication ne se vit pas. Et l’on n’arrive à la simplicité qu’à force de rouerie, ou je me trompe.

Les trois « lois » du roman, — crédibilité, présence et l’importance du sujet, — telles que M. Paul Bourget les pose, il les a toujours observées avec bonheur. L’une de ces lois, la troisième, a pris dans son œuvre un magnifique développement. Ses romans se sont élargis encore et traitent les sujets les plus importants. Sa pensée, enrichie par la méditation, par l’expérience et l’examen constant des phénomènes sociaux, combine et organise une idéologie de réalité. Sa critique ne s’est pas modifiée : elle a plus d’ampleur et, sans avoir à se modifier dans ses principes, elle s’étend plus loin, comme l’indiquent déjà les titres de ses plus récents volumes. Aux Essais de psychologie, aux Études et portraits succèdent Sociologie et littérature et les Pages de critique et de doctrine. Ces mots de « sociologie » ajoutée à la littérature, et de « doctrine » ajoutée à la simple critique de littérature, sont une nouveauté ou signalent plutôt l’aboutissement d’un grand effort mental.

Dans un très pénétrant chapitre de Sociologie et littérature, M. Paul Bourget discute la question de savoir s’il y eut, comme on l’a prétendu, — et ce fut avec malveillance, — deux Taine, un Taine des Essais de critique, de l’Intelligence et de la Littérature anglaise,