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d’aimer plus qu’on n’eût aimé. » Pêcheurs d’Islande, de M. Pierre Loti : c’est une anecdote, et c’est « le mal de l’absence. » Voilà dit M. Paul Bourget, les grands sujets et les grands livres.

A ces trois « lois du roman, » il ajoute, je ne dis pas une quatrième loi, mais une recommandation, qui est parfaitement juste, mais qui me semble un peu dangereuse. A propos de Flaubert : « Le roman, pour reproduire la vie, doit posséder le mouvement ; et ce mouvement a pour condition essentielle qu’aucune phrase n’arrête et ne fasse saillie, que les détails se fondent les uns dans les autres et ne soient pas remarqués. Il en est du roman comme des fresques : le large coup de brosse y est nécessaire, et le fignolage du miniaturiste serait ici le pire des défauts. Le style du poème en prose, tel que l’ont pratiqué un Aloysius Bertrand ou un Baudelaire, figerait le récit et détruirait radicalement la crédibilité, condition sine qua non de l’illusion nécessaire elle-même à la création du type. » On a dit que les romans de Balzac étaient mal écrits : non, ils sont « admirablement écrits, en tant que romans. » Et Flaubert, s’il avait négligé les « affres du style, » serait peut-être un moins grand prosateur : il serait un plus grand romancier. Du reste, si le romancier doit éviter « le finissage trop poussé du style, » cependant on lui recommande le respect du vocabulaire et de la syntaxe. On le supplie seulement de ne pas rechercher « l’écriture artiste » des Goncourt. Je le crois bien ! Car l’écriture artiste des Goncourt est le contraire d’un bon style et n’est pas le contraire du galimatias. Mérimée, Stendhal et Balzac, dit ailleurs M. Paul Bourget, sont « de très grands écrivains, » mais « de très grands écrivains de romans : leur langue ne pouvait pas, ne devait pas être celle de très corrects et très parfaits prosateurs. Les petits faits vrais qu’ils avaient à noter ne comportaient ni la ciselure, ni la mélodie, ni le choix minutieux des termes. Le style dans le roman ne saurait, sans fausser le genre, rappeler celui du poème en prose. Il doit tenir du laboratoire et de la clinique, comme l’observation elle-même qu’enregistre le romancier. » M. Paul Bourget revient souvent à exprimer cette opinion juste, disais-je, et dangereuse.

Dangereuse, parce que nous vivons à une époque où les écrivains n’ont pas besoin qu’on les encourage à n’être pas des prosateurs. bien attentifs. Il y eut des époques où, comme Sainte-Beuve l’a remarqué, tout le monde écrivait à la perfection. Telle n’est pas du tout la nôtre : de nos jours, le style courant ne vaut rien. La syntaxe n’est plus suivie. Est-ce une autre syntaxe qui naît ? Pas du tout : c’est, en manière de syntaxe, le gâchis. Les mots sont pris dans une acception