Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/696

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dumas ? À la vraisemblance ? Non, puisque les Trois mousquetaires abondent en aventures de cape et d’épée qui touchent au fantastique. A la logique ? Pas davantage... Pour qu’il ait une crédibilité d’une force indiscutable, il faut, semble-t-il, que l’auteur soit par-dessus tout de bonne foi, qu’il croie à l’histoire qu’il raconte, avec une spontanéité, une naïveté complètes... » Il faut que le dupeur soit dupe lui-même et le menteur trompé. Cela est extrêmement bien vu ; et il y aurait une jolie analyse à faire de la « naïveté » du romancier, naïveté diverse comme sont divers, ou devraient l’être, nos dizaines ou nos centaines de romanciers.

Deuxième vertu d’un roman : la présence. Mérimée eut « le don de présence » que n’avaient ni l’auteur de René ou d’Atala, ni l’auteur d’Adolphe, ni l’auteur de Volupté. Si le romancier manque de ce don, « les gens, pour employer une métaphore vulgaire, mais expressive, ne sont pas dans la chambre. » Avec Mérimée, ou Balzac, ils sont toujours dans la chambre ; avec Tolstoï, également, et avec M. Pierre Loti. La sensation de présence, Mérimée l’impose par un choix de petits faits, qui paraissent anodins, qui sont révélateurs. Au début de Carmen, José Navarro nous est montré, nous est rendu présent par tous ses gestes, qui indiquent son habitude et son émoi du moment. « C’est par le détail juste et sans commentaire que Mérimée a procédé. Pour les imaginer, ces détails, et en équilibrer la mise en mouvement, il faut une vision intérieure d’une précision d’appareil photographique et désencombrée de tous les détails inutiles, un esprit d’une impeccable sûreté qui ne retient, des physionomies, des attitudes, des paroles, que le significatif. » Et il y a, sans la vertu de « présence, » de très belles œuvres, mais dénuées d’une des qualités qui font le roman. La « présence, » d’ailleurs, seconde la crédibilité.

La troisième loi que M. Paul Bourget formule est relative à « l’importance du sujet. » C’est une loi que certains réalistes ont méconnue : les uns, qui, satisfaits de peindre la réalité, en copiaient un fragment quelconque, tout de même que s’ils ne l’avaient pas choisi et le trouvaient par hasard devant eux ; les autres qui se contentaient de copier sans avoir vu ou deviné, au delà de cette réalité fragmentaire, autre chose. « Il faut que l’histoire racontée par l’auteur puisse s’adapter à d’autres événements, sans que l’âme avec laquelle ils ont été sentis soit changée. » Ainsi, Notre cœur, de Maupassant : « Il avait agrandi l’anecdote jusqu’à en faire un symbole ; » il vous raconte un drame assez vulgaire et, de ce drame, il dégage « un de ces grands faits moraux qui intéressent tous les cœurs, la profonde souffrance