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Mais, au temps de Racine et de Boileau, quand il s’agissait de purifier la langue et de lui trouver sa clarté parfaite, Boileau n’avait pas tort de blâmer le vocabulaire de Ronsard, auquel d’ailleurs Ronsard lui même renonça peu à peu et qui ne se rencontre plus beaucoup dans les Amours d’Hélène. A présent, ce ne sont plus le grec et le latin qui mettent en péril notre langue ; et les sévérités de Boileau ne seraient plus si opportunes. Il aurait d’autres sévérités. Pareillement, à Rome, sous le règne de Tibère, Sénèque se plaint d’« un excès de littérature : » il aurait maintenant à blâmer tout le contraire et dirait que nous souffrons d’un trop grand nombre d’illettrés.

Du reste, la critique n’a point exactement la même tâche à faire, selon qu’il s’agit des écrivains du temps passé, dont la gloire est bien établie et le génie reconnu, ou des auteurs contemporains, qui sont dans la bataille : et elle aussi ! Elle n’a point à déclarer grands poètes Ronsard, La Fontaine ou Racine. Qu’elle ajoute aux plaisirs que nous en recevons naïvement, pour ainsi dire, d’autres plaisirs et plus savants ; c’est tout ce que nous lui demandons. Mais, quand il s’agit de la littérature qui se prépare ou qui se fait, qui subit les tribulations de la vogue ou de la mode, qui parfois se trémousse et utilise les stratagèmes de publicité ou les intrigues des cénacles, des colories et des chapelles, la critique est là (ou doit être là) pour réagir contre la sottise, pour ridiculiser les toquades, pour découvrir les belles œuvres : elle doit être là pour juger, sauf erreur, avec intelligence et vive loyauté. Si, par endroits, un Gustave Planche se trompe, son idée de la critique est pourtant vraie. Il me semble que M. Paul Bourget se rangerait aujourd’hui à cette opinion qui n’était pas la sienne en 1882.

Non qu’il ait, depuis lors, exercé la critique à la façon de Gustave Planche, signalé les mauvais écrivains et fait de ces rudes et utiles exécutions que ne dédaignaient ni Ferdinand Brunetière, ni Jules Lemaître ou M. Anatole France. Je ne vois rien de tel dans ses volumes de critique. Et même, il plaint les critiques, pour ainsi dire, professionnels, critiques de guet, de combat, qui ont eu à défendre incessamment la littérature, à en protéger, à en nettoyer les abords. Il plaint Barbey qui, « à l’orée de la vieillesse, » devait « articler hâtivement sur toutes les inepties parues de la veille en librairie. » Barbey appelait cette besogne laver la vaisselle dans les journaux et, fier. ajoutai ! : « Je la lave comme saint Bonaventure. avec des mains de cardinal ! » Il plaint Théophile Gautier, qui « use ses forces, » lui auteur d’Emaux et camées et de la Morte amoureuse. au travail du