Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/693

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

œuvre, analyse un plaisir et analyse l’âme d’un auteur qui a pris son plaisir à composer une œuvre que voilà Ainsi, la critique tourne à cette psychologie que disait le romancier psychologue de Cruelle énigme, d’Un crime d’amour et d’André Cornélis. Tous deux psychologues, le critique et le romancier se réunissent. Les Essais et les Nouveaux essais de psychologie sont bien l’ouvrage du même auteur à qui l’on doit les romans que j’ai cités.

Je ne crois pas que M. Paul Bourget signerait aujourd’hui, sans les modifier, ses « Réflexions sur la critique » de 1882. Non qu’elles ne soient extrêmement justes à maints égards. Il a raison, dès 1882, à mon avis, de rendre voisines la notion de littérature et celle d’un plaisir. C’est l’idée de Racine et qu’il a plus d’une fois formulée ; c’est, au XVIIe siècle et jusqu’à l’époque d’un étonnant désordre littéraire, l’idée de tous nos écrivains qui n’étaient pas ou philosophes ou prédicateurs. Secondement, si les critiques, en nous aidant à mieux comprendre les belles œuvres du passé, en nous donnant de nouvelles raisons de les goûter, par les moyens de l’histoire et de la psychologie, enfin si les critiques augmentent notre plaisir, grand merci. Mais ont-ils dès lors accompli toute leur besogne ?

Pourquoi l’auteur des « Réflexions sur la critique » les dispense-t-il et même leur refuse-t-il le droit de « juger ? » C’est qu’ils se trompent ! Boileau par le de Ronsard «avec une inintelligence singulière de l’essence du génie lyrique. » Morellet ne comprend rien à « ce grand secret de mélancolie que la lune raconte aux chênes et aux rivages antiques des mers », dans Atala : tant pis pour lui ! Gustave Planche « ne s’est jamais douté que les deux plus puissants génies littéraires de sa génération fussent Victor Hugo et Balzac... Colossale méprise ! » Je ne dis pas non. Mais, s’il n’y a point de critiques infaillibles, comme il n’y a guère d’écrivains, poètes ou romanciers, impeccables, est-ce une raison pour ôter à la critique son attribution la plus importante, qui est de juger, qui est de dire, et très souvent : ceci ne vaut rien, ceci tourne au galimatias, ces idées-ci ne sont que fausseté ? On a beau jeu à signaler les erreurs de la critique. Et toutes celles que l’on signale ne sont peut-être pas si évidentes. Plusieurs, — et celle de Boileau qui n’a pas entendu Ronsard, — peuvent aussi être considérées comme les signes d’une époque et de son goût différent du nôtre. Boileau n’est pas seul en son temps à n’aimer que médiocrement Ronsard ; et nous, qui l’aimons autant que nul poète de chez nous, l’aimons-nous à cause de ses néologismes latins et grecs, ou bien en dépit de ce langage mélangé ?... Vous l’aimez en bloc ? Moi aussi.