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l’œuvre critique a sans cesse accompagné l’œuvre romanesque et, faut-il le dire ? sans dommage pour celle-ci ou celle-là

Comment se fit d’abord la réunion ? Lisez, dans le recueil des Etudes et portraits, un chapitre de « Réflexions sur la critique, » daté de 1882. M. Paul Bourget considère alors que l’ancienne critique, celle qui était rigoureusement fidèle à son étymologie d’un « jugement, » celle de l’abbé Morellet par exemple ou de notre Gustave Planche, avait passé de mode. Il ne s’en attristait pas. Il en résumait ainsi le caractère : « Le rôle du critique était celui d’un arbitre suprême et convaincu, sorte de procureur de la littérature qui dressait le dossier des méchants ouvrages et, distributeur de couronnes autant que de châtiments, décernait des récompenses aux bons auteurs. » Cette critique est morte, dit en 1882 M. Paul Bourget. Puis il pose la question de savoir pourquoi elle est morte. Elle est morte, répond-il, en même temps que son principe. Son principe était qu’il y a « des lois inflexibles de la Beauté, qu’il y a « un type absolu de l’œuvre d’art. » Eh bien ! ces lois, n’existent pas, ni ce type. Descartes croyait à l’identité des esprits : nous avons découvert, nous, la variété des intelligences ; la connaissance des littératures étrangères nous a menés à cette découverte. Et « ce que l’ancienne critique appelait l’imperfection d’une œuvre apparaît alors comme une condition de la vie même de cette œuvre. » L’ancienne critique reproche à Ronsard de parler, en français, grec et latin : la critique moderne constate ce que fut, à l’époque de Ronsard, l’enivrement de l’Antiquité retrouvée. L’ancienne critique reproche à Rabelais tant d’obscénité : la critique moderne examine la verve sensuelle et cynique de la Renaissance. Bref, il ne s’agit plus de juger, mais de comprendre. Il fallait toujours comprendre, mais on avait grand hâte de juger. Depuis Sainte-Beuve et Taine, dit M. Paul Bourget, la critique devient psychologie. Elle essaye de parfaire une « histoire naturelle » ou une botanique des esprits. C’est le mot de Sainte-Beuve. Ou bien elle « vérifie » sur les œuvres littéraires d’autrefois ou d’à présent les hypothèses des savants relatives à la pensée, à son effort qui d’âge en âge se transforme. C’est le désir de Taine. Les critiques, dit M. Paul Bourget, « ne régentent pas plus la production littéraire que les physiologistes ne régentent la production de la vie, mais je n’avouerai jamais que ce soit là une infériorité... La grande ouvrière des créations du génie est l’inconscience ; et le meilleur procédé pour composer de belles œuvres est de travailler à se faire plaisir à soi-même. Aucun précepte n’enseigne cette sorte de plaisir. » En somme, le critique analyse une