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abstractions tout à fait puériles, des marionnettes chargées de débiter une leçon. Toute vie intérieure, toute vraisemblance est sacrifiée au développement d’une sorte de conférence contradictoire, d’où doit sortir le triomphe d’une formule humanitaire.

C’est ainsi que l’on voit dans le drame de Sanyasi l’orgueil d’un ascète se fondre au contact d’une petite « paria » rencontrée par hasard ; dans Malini, le crime du grand-prêtre Kemankar qui ne recule pas devant l’assassinat, pour maintenir les vieux rites et arrêter le progrès d’une religion nouvelle ; dans Sacrifice, la révolte du brahmane Raghupati contre le roi Govinda, qui avait eu l’audace d’interdire dans son royaume les victimes sanglantes. Ce dernier drame est dédié « aux héros de la paix, qui défendirent courageusement leur foi, lorsque la déesse de la guerre eut soif de sang humain. » C’est un plaidoyer pacifiste. Il fut composé pendant la guerre, comme un encouragement aux hommes qui ne prirent pas les armes et refusèrent d’entrer dans le conflit universel.

Sans doute, un Hindou est excusable d’être resté étranger aux causes de la guerre, et de ne pas partager des intérêts qu’il ne comprenait pas. On ne peut guère blâmer Tagore d’avoir voulu demeurer en dehors de la mêlée. Le temps viendra-t-il où les guerres, par le progrès de la raison, sembleront aussi barbares et aussi impossibles que le sont devenus, pour l’homme civilisé, les sacrifices humains ? L’homme trouvera-t-il quelque jour un moyen d’établir sur la terre des relations plus douces, comme des religions spirituelles se sont substituées aux cultes primitifs, et comme on a cessé de croire qu’on plaît à la divinité par des offrandes cruelles ? La guerre ne serait-elle qu’une monstrueuse idole, qu’il suffit de nier pour qu’elle s’évanouisse ?

Ce problème (c’est tout le problème du mal !) dépasse un peu ce qu’il est permis de traiter en deux actes. Tagore lui-même s’est aperçu que ce genre de questions se décide mal au théâtre. Dans sa dernière pièce, le Cycle du printemps, il renonce à prêcher ; il revient à la fantaisie, à la poésie pure. Il arrive que la vieillesse soit pour les poètes le signal d’une floraison nouvelle et d’un retour d’adolescence. Cette allégorie de Tagore blanchissant sur l’illusion de l’âge, sur la vie qui renaît, sur cet anneau des saisons où le dernier jour de l’hiver se confond avec la fleur du renouveau, est une de ses inventions les plus gracieuses ; ce n’est presque qu’une ronde, une perpétuelle.