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et le drapeau du Roi. Est-ce que le Roi écrit quelquefois ? Est-ce qu’il pourrait m’écrire ? Comment savoir s’il y a une lettre pour moi ? Y a-t-il un métier plus beau que de porter les lettres du Roi ? C’est en causant avec son ami le bohème que le petit malade apprend ces belles choses. Dès lors l’enfant ne fait plus qu’attendre, attendre fiévreusement la lettre du Roi. Il va plus mal, ne quitte plus son lit. Le docteur mécontent soupçonne qu’il a pris froid, — toujours ces maudits courants d’air ! Et il fait fermer la fenêtre. Mais l’enfant moribond ne songe qu’à sa lettre. Et enfin, il arrive, le messager attendu : il annonce que le Roi envoie son médecin et qu’il viendra lui-même ; et voici le médecin : il fait ouvrir la fenêtre et éteindre la lampe, afin que la nuit entre avec toutes ses étoiles, et il prend doucement la main de l’enfant, en mettant le doigt sur sa bouche : « Chut ! Il dort. »

Il est très difficile de dire le sens exact de ce petit poème ; peut-être ne faut-il pas chercher sous chaque personnage un symbole trop précis. Il s’agit moins d’un contenu intelligible, clair pour l’entendement, que d’un résidu émotif, d’une vapeur douce comme celle qui flotte dans l’âme après un songe. On devine bien ce qu’il faut entendre par cette guérison, par cette délivrance, par ce détachement qui délie l’enfant prisonnier ; on entrevoit ce que signifie ce « message, » cet ordre mystérieux qui vient toucher le petit malade. C’est l’appel de la vocation, de la grâce : c’est la voix qui tôt ou tard, à l’improviste, fait comprendre que tout est illusion, hors l’amour, et qu’il n’y a de réel que l’au-delà l’Infini. Ce mysticisme est une idée assurément bien étrangère à nos théâtres du boulevard. Le talent du poète a été de la rendre secrètement sensible par des images intimes et toutes familières, de même que l’auteur des Aveugles et de l’Intruse suggérait par des traits tout simples toute l’angoisse humaine. Mais le petit « mystère » de Tagore laisse le spectateur sous une impression bienfaisante de tendresse et de paix.

Ces thèmes de la nuit et du Roi, qui apparaissent si majestueusement à la fin du Bureau de poste, forment la substance du Roi invisible. Ce sont les mêmes motifs, mais repris et orchestrés. L’histoire, pour tout dire en deux mots, est un peu celle de Psyché : c’est un de ces mythes éternels qui appartiennent à toutes les langues. Mais qu’est-ce que ce Roi que ses sujets n’ont jamais vu, ce Roi innommé dont personne ne connaît le visage, qui ne se montre en plein jour à aucun