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l’époque où l’on place l’existence de Kalidasa, le fameux auteur de l’Anneau de Sakountala. On l’a vu renaître brillamment vers le milieu du siècle dernier, lorsque l’Inde, sortant de sa longue léthargie, éprouva les premières lueurs de ses aspirations nationale. Partout où il y a des races et des langues opprimées, le théâtre est le foyer du nationalisme. C’est un poste d’où il devient possible de remuer l’opinion. La première forme que prit aux Indes la nouvelle école dramatique, fut celle de la comédie à thèse. La pièce intitulée Nil Darpana ou le Miroir de l’Indigo, par Dina Bandhu Mitra, eut là-bas une fortune qui rappelle un peu celle de la Case de l’oncle Tom : c’était le tableau dramatique d’un village de planteurs, tué par l’établissement d’une factorerie anglaise. La condition des femmes, la question du veuvage, de la polygamie, offraient un vaste champ à la satire sociale. Sans compter que, dans les campagnes, les vieilles aventures du Ramayana et du Mahabahrata, la légende amoureuse de Krishna et de Rahda sont encore populaires comme il y a dix siècles et demeurent le sujet de spectacles aussi vivants que la Passion d’Oberammergau.

Le théâtre de Tagore n’est donc pas un fait isolé. Au moment de ses débuts, vers 1880, il y avait au Bengale une activité dramatique à laquelle il devait être tenté de prendre part. Il fit en effet vers ce moment deux ou trois essais, qu’il ne nous a pas conservés : d’après ses Souvenirs, c’étaient des comédies mêlées de chants, ou plutôt une suite de cantates, une espèce d’oratorios. La muse tragique fut longtemps gênée par sa rivale, et se vit contrainte d’attendre son tour.

Les drames de Tagore ne sont donc que les vacances d’un poète, mais le poète n’est jamais loin et intervient à tout moment dans l’œuvre du dramaturge. Cette confusion du drame et du lyrisme a d’ailleurs peu d’inconvénients dans le théâtre hindou ; elle y semble même naturelle, et c’est par là que le théâtre de Sir Rabindranath revêt une valeur nationale. Par-delà le drame social et le théâtre à thèse, il renoue en effet avec la tradition classique, c’est-à-dire avec ce genre supérieur des rûpakas, où la poésie constitue l’élément principal du drame. Les conventions particulières à ce genre de spectacles, la politesse orientale, l’esprit de bienveillance et de raffinement qui composent l’étiquette de ces vieilles sociétés de l’Inde, faisaient une règle au poète d’éviter toute espèce de conflits violents, d’écarter la peinture