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le fléau, sa marche souterraine et circulaire, poursuivie avec une force d’expansion inouïe, par des myriades d’insectes, attachés comme une lèpre aux racines de la vigne, une gangrène renaissante et implacable que rien de connu n’enrayait seulement. Et ce cheminement échappait à la vue, et il fallait s’armer de loupes pour suivre l’invasion de cette poussière d’êtres, de cette cendre vivante, sous qui la parure du pays se flétrissait feuille à feuille, grain à grain. On crut d’abord que l’insecte rongeait, dévorait les racines. La végétation s’étiolait d’année en année, durant trois ou quatre ans à l’ordinaire, et le pied succombait. On se trompait par bonheur. Le mal eût été sans doute sans remède : le nombre et le temps venant à bout de tout. L’insecte opérait autrement. Il piquait, et on se demande comment, avec un si minuscule organe ; en quelles quantités d’atteintes ; il piquait la racine, provoquant des nodosités profondes sur le tégument, des chapelets de nœuds qui ralentissaient et puis interceptaient l’afflux de la sève. L’arbre mourait d’inanition. De là cette destruction lente, mais incessante, qui aurait sapé le monde, j’entends le viticole.

Deux méthodes de lutte naquirent : la médicale, la botanique. La première voulait tuer la bête par injection ou par immersion ; la seconde défendre la plante par la plante elle-même transformée, rénovée, immunisée, ou vivant avec son mal. On commença par le traitement. On injecta dans le sol, au pied de chaque cep, des doses déterminées de sulfure de carbone, dans l’espoir d’empoisonner la bête. Procédé douteux, pour peu qu’il ne fût point judicieusement appliqué, mis en place, et ruineux encore, le sulfure, les appareils, la main-d’œuvre comptés, que seuls les possesseurs de grands crus purent se permettre d’essayer. La masse des viticulteurs renonça à s’engager dans ces dépenses. On passa à l’expérience de l’immersion. On savait déjà que la bête redoutait l’humidité. On inonda des vignes durant des semaines, l’hiver, sous une nappe fixe, dormante, comme un lac artificiel ; on noya, on asphyxia l’insecte. Le moyen fut efficace. Les vignes tendues d’eau résistèrent ; elles résistent toujours ; il en est qui vivent indemnes, depuis l’époque héroïque, sous le bouclier liquide qui les couvre. Mais, quoi ? leur nombre est infime. Peu possèdent des clos longés de cours d’eau susceptibles d’être détournés, canalisés et déversés ; peu même des vignes de niveau. Or, en agriculture, le procédé