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CHEZ LE DUC DE DOUDEAUVILLE

En 1830, Barrès est devenu, par rang d’ancienneté, le plus ancien des commandants du 15e. Son bataillon est le premier à partir pour l’Alsace le 1er octobre. En cours de route, à Montmirail, où il était déjà passé en 1808, 1814 et 1820, son billet de logement lui vaut d’être l’hôte du duc de Doudeauville, pair de France et ancien ministre de Charles X, « dans le beau château où naquit le cardinal de Retz. »

3 octobre 1830. — Logé par billet de logement chez le noble duc, je reçus, peu de temps après être entré dans l’appartement qui m’était destiné, la visite de son valet de chambre qui m’annonça celle de son maître, et m’apporta en même temps que des rafraîchissements sept à huit journaux politiques de différentes couleurs. Après m’être habillé, je fis dire que j’étais en position de recevoir l’honneur qu’on voulait bien me faire. M. de Doudeauville vint me complimenter, et m’inviter pour six heures. Plus tard, je lui rendis sa visite, et fus ensuite me promener dans le vaste parc du château, très curieux par sa position en pente sur le Petit Morin, et ses beaux points de vue. Le château est une vieille habitation modernisée, flanquée de tours carrées, et sur l’une d’elles flottait un immense drapeau tricolore.

Le dîner rassembla M. le duc et Mme la duchesse de Doudeauville, M. et Mme Sosthène de la Rochefoucauld, celui-ci, aide de camp de Charles X, directeur des Beaux-Arts de la maison du Roi, homme célèbre par son bon ton et pour avoir, dans l’intérêt des mœurs, fait allonger les jupons des demoiselles de l’Opéra ; Mme la duchesse Mathieu de Montmorency, veuve du Saint Duc (comme les dévots l’appelèrent lors de sa mort subite à Saint-Thomas d’Aquin), ancien ministre de Charles X ; M. le marquis Rapt de Rastignac, pair destitué par la Révolution de Juillet, gendre de M. de Doudeauville, et plusieurs autres personnes moins aristocratiques, à ce que je crois. On causa peu. M. de la Rochefoucauld et moi, nous fûmes à peu près les seuls qui échangeâmes quelques paroles à voix basse. Du reste, je n’eus qu’à me louer des politesses qu’on me fit, et des attentions dont je fus l’objet.

Dans le salon, on fut plus expansif. On y parla beaucoup de