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baïonnettes au bout des fusils. C’était la première troupe armée de la ligne qu’on revoyait dans nos parages ; et ils se présentaient dans cette attitude militaire, en vertu d’une convention faite avec les commissaires envoyés pour recevoir leur adhésion. Les honnêtes gens virent avec plaisir que la force armée régulière et disciplinée allait reprendre le service de la capitale.

Grâce à l’arrivée de ces deux bataillons, le régiment se trouva de nouveau réuni. Mais ce n’était plus le même corps. Que de divisions parmi les officiers ! Des ambitions bien peu justifiées se montraient, des haines se manifestaient à toutes les réunions. Le 15e avait cessé d’être le modèle des autres corps. Sur les 1 500 hommes qu’il avait présentés à la revue du 26, il ne lui en restait pas 400. Plus de 1 000 hommes avaient déserté. Quant à la tenue, elle n’existait plus. La plupart des soldats vendaient le soir les effets qu’on leur délivrait le matin.

9 août 1830. — Louis-Philippe, roi des Français, accepte la nouvelle Charte, et prête serment devant les députés réunis au palais de la Chambre...

Pour moi, à deux heures et demie du matin, je pris le commandement d’une nombreuse corvée que je devais conduire à Vincennes pour recevoir 600 fusils. Je rentrai à deux heures après-midi, bien mécontent des hommes et de leurs officiers qui n’osaient plus les commander. Cette journée me laissera de douloureux souvenirs sur le funeste effet de l’indiscipline. Quelle différence avec les soldats d’avant la Révolution ! quel changement profond dans les caractères en si peu de jours ! Ce qui occasionna en grande partie les nombreux écarts de désobéissance dont les soldats se rendirent coupables, c’est la faim. Restés à Vincennes plus longtemps qu’on ne pensait, parce que d’autres régiments s’y trouvaient en même temps que nous, l’heure du déjeuner était passée depuis longtemps quand notre tour d’être armés arriva, ce qui exaspéra les hommes, facilement irritables à cette époque de dissolution sociale. La plus grande difficulté, ce fut de les empêcher d’entrer dans Paris par la rue du faubourg Saint-Antoine, que je ne voulais pas traverser, dans la crainte que le peuple avide d’armes ne les désarmât : ce que mes indisciplinés chasseurs auraient volontiers laissé faire pour ne pas se donner la peine de porter leurs armes. Enfin je parvins presque seul à vaincre toutes ces résistances, et arrivai au quartier sans avoir perdu un seul fusil, malgré toutes les