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vous savez que l’enseignement est mixte ici, et que jeunes filles et jeunes garçons préparent leur baccalauréat sur les mêmes bancs, dans une émulation profitable pour l’étude. Paolina est d’une sensibilité délicate ; elle tressaille, comme ses parents, à toutes les émotions qui agitent l’Italie ; au point que, malgré sa jeunesse, elle n’a pas seulement vu la guerre : elle l’a personnellement sentie, et vécue. Elle me parle des professeurs, des événements de sa classe ; elle me dit qu’elle fait partie d’une association fasciste. — « D’une association fasciste, Paolina ? Vous vous déclarez, vous que toute injustice blesse au cœur, pour la violence ? Vous qui vous enthousiasmez pour cette harmonieuse vie des Grecs, que vous découvrez dans vos livres avec ravissement, vous voyez sans frémir ces coups de force ? Au moment où s’éveillent confusément en vous les premières aspirations de la femme, de quels rêves inhumains vous laissez-vous bercer ? Vous avez pu souhaiter le triomphe du fascisme à ses débuts : pouvez-vous, en vérité, le soutenir maintenant ? »

Paolina comprend que je la taquine, que je la provoque ; mais elle refuse d’entrer dans le jeu ; elle résiste. Et, réfléchissant, fermant ses grands yeux pour penser plus profond, cherchant à démêler les motifs de sa croyance, elle répond enfin : « Je suis fasciste, parce qu’on a voulu détruire mon pays, et que je ne veux pas que mon pays meure... » Le souvenir de la grande crise sociale qui a suivi la guerre a persisté chez elle ; et la force nationale, réveillée, s’affirme jusque dans cette âme juvénile. Une fasciste de quatorze ans, voilà qui peut faire sourire ; et personne n’est obligé d’attacher de l’importance à ce qu’elle dit. Mais inversement, on peut penser que Paolina n’est pas seule ; qu’elle traduit des idées communément répandues dans son milieu ; et chacun est libre d’imaginer, d’après elle, ce que sera la mentalité des classes dirigeantes en Italie, dans un avenir qui peut-être n’est pas très lointain.

Les élèves des écoles primaires, à Turin, à Milan, dans les grandes villes, sont socialistes : car ils ne laissent pas d’avoir déjà leurs opinions, dans la mesure où on a des opinions quand on joue encore au cerceau ou aux billes. Un instituteur de Gênes me raconte qu’à l’école où il enseigne, un jour où le professeur de musique voulait faire exécuter, toutes classes réunies, la Chanson du Piave, hymne de victoire, les élèves entonnèrent le Drapeau rouge, chant révolutionnaire : cet indice aussi veut être