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les lieux où Stendhal exerça sa majesté consulaire ? Elle est triste, cette Cività Vecchia où il fut envoyé, quand Metternich lui eut refusé l’exequatur à Trieste. Le très aimable M. Bucci nous fait les honneurs du bureau que le Consulat occupait, dans sa propre maison : M. Bucci, descendant de celui que Stendhal honora de son affectueuse estime, à l’heure où, dans sa vie qui s’assombrissait, il n’avait plus personne à aimer. Mais, sorti des livres stendhaliens qui restent dans le sanctuaire, la ville suinte l’ennui. Elle est massive et lourde ; elle élève sur une côte plate et disgraciée ses bastions, sa forteresse grise, son môle, les mornes édifices de son port de galériens. Si encore, comme autrefois, une des galères pontificales, battant l’eau de ses rames cadencées, apparaissait dans le lointain ! Même ce pittoresque médiocre a disparu ; la mer est vide. Comme souvenir de la domination des Papes, il ne reste plus, gravées sur des plaques de marbre, que des inscriptions louangeuses, exaltant à l’envi les bienfaits de chacun d’eux. La maison où Stendhal habitait ressemble à une caserne ; il devait s’y sentir emprisonné ; et toute cette cité d’un autre âge, qui fermait ses portes le soir venu, a elle-même l’air d’une prison. On comprend qu’il fût mélancolique, et qu’il s’échappât souvent vers Rome toute voisine, pour retrouver l’Italie vivante qu’il chérissait, et qu’il connaissait bien.

Comme il la connaissait bien ! Comme il avait su discerner ses réalités profondes ! Comme il reste, en matière de psychologie italienne, un des maitres qu’il faut révérer ! Tandis que les romantiques se contentaient de passer en touristes, courant de Venise à Naples, il pénétrait les secrets des cœurs. Il ne se laissait pas tromper par cette Italie de pacotille que les autres avaient imaginée plutôt qu’ils ne l’avaient vue, décor somptueux de leurs rêves. Henri Beyle, Milanais échoué à Cività Vecchia, révélait aux Français incrédules la puissance de cette race, qui avait gardé plus qu’aucune autre au monde la force primitive des instincts naturels. Moins usée, moins effacée que la nôtre, elle était, disait-il, aussi fraîche qu’aux jours du paganisme, quand l’homme n’avait d’autre règle que de s’exalter lui-même et d’exercer librement toutes les facultés de son être. Et il répétait que, dans ce sol généreux, la plante homme croissait avec une incomparable vigueur.

Seulement, par prudence, par peur d’être mêlé aux événements contemporains, d’être soupçonné de libéralisme, d’être