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des mendiants, qui mettent leur ingéniosité naturelle au service d’une grande idée, celle de vivre le mieux possible avec le minimum d’effort, il y en a beaucoup. Comme les moustiques, ils préfèrent la chair fraîche, et pullulent autour des voyageurs inexpérimentés qui deviennent leur proie. Trop de porteurs, trop de guides, trop de cochers, trop de louches personnages assiègent la gare, les hôtels, les musées, et s’attachent aux trousses des étrangers ; c’est la rançon qu’il faut payer en échange des plaisirs du voyage : aujourd’hui, elle n’est ni plus légère, ni plus lourde qu’il y a quelques années. On ne peut même pas dire que la guerre ait augmenté la criminalité. Les filous, les « ladri di destrezza, » comme on les appelle joliment, ne manquent pas ; mais il faut leur savoir quelque gré de n’aimer pas la manière forte. Ailleurs, ils ont fâcheusement perfectionné leurs méthodes, ces temps derniers. J’aime encore mieux, s’il faut absolument choisir, le vol à la tire, que le vol accompagné d’effraction ou d’assassinat. Quand le sang coule, ici, c’est presque toujours pour une question d’amour, ou d’honneur. A cela près (quel grand port fut jamais l’asile de toute vertu ? quelle grande ville est exempte de ces tares ?), la population est, dans son ensemble, facile, plaisante, aimable. Elle est volontiers idéaliste, non sans un peu de rhétorique et sans quelque exagération verbale ; elle aime les grandes idées, les grandes causes. Elle n’est pas prétentieuse ni rechignée ; elle a je ne sais quelle jeunesse qui permet à chacun de rester toute sa vie bon enfant. Très vivement heurtée par le sentiment de l’injustice, il lui prend quelquefois de violentes colères. Mais elle est foncièrement bonne. La guerre ne semble avoir altéré aucun de ses caractères, ni surtout le principal : son amour de la vie. Elle aime la vie ; et elle sait vivre.

C’est peut-être la leçon qu’elle nous donne. Un jeune romancier de grand talent qui a dépeint avec une saisissante vérité la vie dans la région des Marches, Marino Moretti, déclare en souriant qu’il n’aime rien au monde plus que Naples : c’est, dit-il, une des rares villes où l’on puisse encore goûter pleinement le plaisir de l’existence. Aussi se déclare-t-il résolu à venir y terminer ses jours II n’est peut-être pas si loin d’avoir raison. Heureux celui que le hasard fait naître sur les bords du golfe ; ses yeux ne verront que beauté ; toutes les années lui seront comme des printemps ; les besoins matériels