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qui ont désemparé les grandes cités du Nord. La vie est relativement bon marché pour ceux qui n’aspirent pas à « faire figure, » à représenter. Le luxe se paye fort cher, — ce qui après tout est assez naturel. Mais la majorité de la population se tire d’affaire sans trop de peine : ce même avocat m’assure qu’une famille ouvrière de quatre personnes peut vivre sans excéder une dépense de vingt à trente lires par jour. Il faut se hâter d’ajouter que cette population est extrêmement sobre ; un morceau de pain et une tomate, voilà qui suffît, même aujourd’hui, au déjeuner d’un travailleur : lequel arrose ce frugal repas d’une grande lampée d’eau ; car il n’a pas cette passion du vin que la guerre a comme déchaînée dans d’autres pays. Le mets favori, ce sont les pâtes : régal facile, qu’on n’éprouve pas le besoin de faire suivre d’un plat de viande ; une orange fournit le dessert.

De l’étranger, cette population de sages se soucie assez peu. Les Allemands sont revenus, naturellement ; on en voit qui trônent dans les grands restaurants, cigare à la bouche, devant eux une coupe de Champagne ; les camelots viennent leur offrir les journaux de Munich ou de Berlin : on dirait des vainqueurs, qui jouissent non sans jactance des fruits de leur victoire. Toutefois, ils éprouvent quelque peine à reprendre la situation commerciale qu’ils avaient avant la guerre, et qui était de premier ordre. Plus que la politique étrangère, la politique intérieure passionne, mais surtout la politique locale. Les partis, qui portent les mêmes noms que dans le reste de l’Italie, ne représentent pas tout à fait la même chose. D’abord, ils vivent en bonne intelligence ; ils ne connaissent pas la tension continue, l’excitation permanente qui les caractérisent ailleurs. A quelques explosions près, vite calmées, ils aiment mieux vivre en paix que sur le pied de guerre. Et puis leurs convictions, théoriquement aussi fortes, sont pratiquement plus molles. Les socialistes, par exemple, se bornent à des revendications matérielles immédiates ; si on les leur accorde, ils se tiennent pour satisfaits ; si on les leur refuse, ils font grève, comme tout le monde : mais il n’y a pas de danger que la grève tourne en révolution. Les attentats politiques, quand il y en a, ne sont guère au fond que des vengeances personnelles. En Italie, le Midi ne bouge pas.

Des sans-travail, il y en a sans doute. Mais depuis que le port a retrouvé son activité, aucun de ceux qui ne boudent pas à la besogne n’a de peine à gagner sa vie. Des fâcheux, des quémandeurs,