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LES ORIGINALITÉS RÉGIONALES


NAPLES APRÈS LA GUERRE

Soirée passée dans un théâtre populaire, à entendre un acteur du cru, qui s’appelle Viviani.

Ce n’était ni de la comédie, ni du vaudeville, ni de l’opérette, mais c’était tout cela en même temps. Il y avait de nombreux comparses, mais sans importance. Il y avait une intrigue, mais si légère, si ténue, qu’elle ne trompait personne, et que tout le monde la prenait pour ce qu’elle était : un prétexte, une ombre. Le jeu consiste à voir Viviani réapparaître sous dix incarnations différentes, qui représentent toutes des types napolitains : dans cette seule soirée, en effet, il a été chanteur des rues, garçon perruquier, commissionnaire ; il a été l’émigrant revenu d’Amérique, le cordonnier ambulant qui s’installe à la porte des maisons avec son outillage, le vendeur de « frutti di mare » qui vient offrir aux gourmets huîtres et coquillages, le charlatan qui profite de l’attention générale pour subtiliser dextrement la bourse d’un paysan qui l’écoute. Il parle, il déclame des vers, il chante : la prose, la poésie, lu musique sont de son invention ; il n’est pas seulement acteur, il est auteur. Et le public, ravi, l’a longuement fêté.

C’est que l’originalité provinciale demeure entière en Italie. Chaque région, chaque ville, conserve un caractère bien marqué. Lorsqu’un Milanais arrive à Naples, il se sent mal à l’aise ; le climat, la nourriture, le langage même, tout est changé pour lui ; il regrette sa grasse Lombardie, sa vie industrieuse, son risotto, son dialecte ; il lui faut, pour se plaire à une vie si différente de celle qu’il aime, un accommodement qui dure quelquefois des années, et quelquefois n’aboutit pas. Comme j’arrivais à Naples, la nuit, les fusées d’un feu d’artifice montaient dans le ciel. « Quand les Napolitains ont dix mille lires, bougonnait mon voisin de compartiment, au lieu de les employer à des œuvres de bienfaisance ou à des travaux d’hygiène, ils les gaspillent en feux d’artifice. — Vous n’êtes pas de cette région ? — Non, grâce au ciel ; je suis Piémontais. » Réaction injuste, mais instinctive de la part de cet homme du Nord ; opposition nettement marquée. Inversement, les Napolitains transplantés ont la nostalgie de leur ciel. Roberto Bracco, l’auteur