Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/590

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pensée ne complète pas sans quelque peine les données de mes yeux. Où est cette splendeur ? où est ce luxe ? Quels ornements portaient ces pierres dépouillées ? Pour une maison qui a gardé quelques peintures murales, cent n’offrent plus que des murs ternes et nus. Que sont devenus les marbres et les statues ? Le soleil, tombant lourdement sur ces rues que rien n’abrite, fait régner de proche en proche une étouffante chaleur. Où sont les jardins ? où sont les ombrages ? où sont les fontaines ? J’ai beau faire, il m’est difficile de vaincre l’impression de mélancolie qui se dégage de cette désolation ; la vie que je fais jaillir de ces débris ne laisse pas d’être factice. Je ne puis même pas me représenter exactement les maisons : il n’en est plus une qui ait son toit : faut-il les considérer toutes comme de simples rez-de-chaussée ? n’avaient-elles aucune vue sur le dehors ? et n’offraient-elles aux passants que la monotonie de leurs murs sans grâce ? Et puis, que contenaient-elles à l’intérieur ? les Pompéiens n’avaient-ils pas de meubles ? où serraient-ils leur linge, leurs habits ? J’ai la prétention de connaître ici leur vie familière ; et pourtant, dès que je veux préciser un détail, il m’échappe, et je suis déçu.

Mais j’accède à une partie des fouilles qui n’est pas encore ouverte au public ; et derrière l’immense porte vermoulue qu’un gardien ébranle pour mon service, l’enchantement commence. Au lieu de tendre ma volonté et de faire travailler mon imagination pour opérer des reconstructions idéales, au lieu de me trouver dans un cimetière aride, dont toutes les pierres rappellent la mort, j’entre de plain pied dans la grand rue d’une ville méridionale qui, au premier coup d’œil, m’apparait vivante, et je n’ai plus qu’à me laisser aller au plaisir de regarder sans effort. Les murs sont peints de couleurs éclatantes, portraits des grands et des petits dieux, compositions allégoriques, enseignes prometteuses, inscriptions électorales : votez tous pour Lucilius. Plus de trous béants à la place des portes, mais des portes authentiques, avec leurs panneaux, leurs serrures, leurs verrous, et les barres de fer qu’on tire quand vient la nuit, pour se protéger des voleurs. De la hauteur du premier étage, de larges auvents de bois projettent sur les trottoirs une ombre bienfaisante ; à la bonne heure : comment les Pompéiens auraient-ils pu circuler dans leurs rues, sous la morsure de cet ardent soleil ? O merveille ! au-dessus des rez-de-chaussée,