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rien. Ils comprirent seulement qu’il valait mieux liquider l’affaire ; et le trust échoua.

Mais le mal engendre le mal. Les commerçants ont remarqué que souvent la première tentative échoue, tandis que la seconde rapporte gros. Ainsi d’autres éditeurs survinrent qui se crurent plus adroits, et appliquèrent les mêmes procédés. Ils feront si bien, qu’à force de vouloir capter cette source capricieuse et menue, ils la dessécheront pour toujours ; elle se tarit déjà

Par bonheur, le talent ne se laisse pas étouffer sans résistance ; il porte en soi une étrange vitalité. Quand vient l’époque de Piedigrotta, il renait de lui-même : toute la ville est attentive à le voir paraître, et fredonne en l’attendant. Des littérateurs de marque, — un Salvatore di Giacomo, par exemple, — s’amusent volontiers à lancer dans l’air attiédi ces bulles irisées. Il arrive même qu’un homme du peuple, n’étant ni musicien, ni poète de profession, invente au gré de sa fantaisie paroles sonores et rythmes neufs. Naples, ses rivages, son golfe, ses îles, sa beauté souveraine, frappent si fortement ces imaginations ardentes, remplissent d’un tel amour ces cœurs ingénus, que l’inspiration reparait toujours, fût-ce chez les plus blasés. Voilà pourquoi, échappant aux pièges et aux prises, brisant ses entraves, en dépit du commerce et de l’argent, jaillit encore cette mélodie facile, chaude et mélancolique, qu’on appelle la chanson napolitaine.

Car elle est mélancolique ; quand elle évoque les soirs de printemps, la musique des sérénades et le parfum des orangers, les lumières qui s’allument aux fenêtres de la ville, le scintillement de la lune sur la mer, elle sait que cette fête sera brève pour les mortels périssables, elle pense aux automnes, aux hivers et à la mort. Quand elle dit les enchantements des grandes amours qui commencent, elle n’oublie ni les jalousies, ni les violences, ni les abandons. Elle est un hymne à la femme, mais elle rappelle en même temps les ruses et les tromperies de l’Eve éternelle. Elle célèbre la mer et les lointains voyages, la mer perfide et les voyages d’où les marins ne reviennent pas. Toujours elle laisse entendre qu’elle n’est pas dupe des pièges de la nature et de la vie : de sorte que, dans les chansons du peuple le plus insouciant de la terre, il y a de la tristesse et quelquefois des sanglots.