Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/536

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Depuis bien des années, ma tante m’envoyait quelquefois chez son notaire pour chercher de l’argent. Il y a deux ans, j’en avais donc dix-sept, M. Marchoux changea de premier clerc ; nous revenions des eaux, et pour un règlement de comptes, ma tante devait encore toucher trois cents francs. Elle était malade, le temps effroyable, elle me chargea d’aller arranger cette affaire. J’étais en calèche, toute seule et sans aucun ordre de payement. Je fus confondue en apprenant que M. Marchoux était à la campagne et je fis prier son premier clerc de venir me parler à la voiture ; encore un nouveau visage, cela me désolait ; je lui contai mon affaire et il se décida assez facilement à me donner l’argent, mais cela lui coûtait étrangement ; il me fit promettre de lui envoyer un reçu signé de ma tante en arrivant. « Mademoiselle, me disait-il, M. Marchoux est absent, je n’ai point d’ordres de donner cet argent, vous n’avez aucun titre, voyez dans quel embarras vous allez me mettre. » Il aurait bien voulu me persuader de ne pas le vouloir, mais je tins bon ; il me donna cent écus, je l’accablai de remerciements et, réellement, il parut assez satisfait de m’avoir obligé. Quelques autres commissions que j’avais à faire m’empêchèrent de rentrer tout de suite à la maison. J’y revins à six heures ; depuis une heure, un jeune homme de l’étude de M. Marchoux attendait mon retour ; à peine fus-je partie que le pauvre clerc trouva qu’il avait fait une insigne étourderie en donnant de l’argent à une jeune personne qu’il ne connaissait pas ; il envoya chez ma tante s’assurer qu’on ne l’avait point attrapé ; je ne pus m’empêcher de rire de sa terreur et je fus fort touchée aussi, je l’avoue, de l’avoir entraîné à une légèreté...


AMELIE GUYOT.

(Madame LENORMANT.)