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le plus aristocrate des grands seigneurs anglais. Cette lady Anne Hamilton qui était auprès de la Reine est sa sœur. Il a épousé une des riches héritières d’Angleterre, qui était en même temps une très remarquablement belle personne, dont la voix et le talent sont aussi extraordinaires que celui de Mme Catalani ; elle est infiniment plus jeune que lui, et c’est elle qui l’a épousé par amour, et qui à présent languit et se meurt de jalousie.

La prétention du duc d’Hamilton pour le moment, c’est de faire reconnaître le droit qu’il a d’être duc de Châtellerault en France ; ce titre fut donné à l’un de ses ancêtres, lors du mariage de Marie Stuart avec François II. Il a déjà eu plusieurs conversations avec le Roi à ce sujet, et avec M. Decazes lorsqu’il était ministre ; on lui a toujours dit que rien n’était plus juste, mais il a trouvé que l’on n’y mettait pas tout l’empressement convenable, et il ne veut pas s’en mêler à présent. Il serait, je crois, fort content que ma tante poussât cette affaire, sans que sa hauteur eût à s’en occuper.

Au reste, c’est tout à fait mal à moi d’avoir parlé de ces petits ridicules. Il est parfaitement aimable pour nous ; pendant les séjours qu’il fait à Paris, il ne laisse pas passer un jour sans venir nous voir ; à chacun de ses voyages en Angleterre, il nous rapporte de charmantes bagatelles. Il écrit à ma tante les lettres les plus gracieuses et les plus aimables, auxquelles elle ne répond pas.

Lorsque minuit sonne et que ma tante lui dit qu’il faut s’en aller, il envoie régulièrement le couvent au diable, et il ne s’en va jamais qu’à regret et avec le désir de revenir.


Jeudi soir.

La comtesse de Gotheland[1] est une des personnes que nous voyons le plus habituellement. Liée depuis fort longtemps avec ma tante, elle a une tendre amitié pour elle, et elle s’est mise dans une position si singulière que ma tante est le seul point de rapport qu’elle ait avec la société aristocratique. Elle n’est pas jolie sans être laide. Elle engraisse trop, elle se met bien, elle a une grande timidité, une extrême gaucherie. Elle ne peut retenir

  1. Désirée Clary, fille d’un négociant de Marseille, avait épousé Bernadotte, pendant que sa sœur Julie épousait Joseph Bonaparte. Devenue reine par l’accession de Bernadotte au trône de Suède, en 1818. elle passait la plus grande partie de son temps à Paris sous le nom de comtesse de Gotheland.