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fréquent des exclamations ; mais on sent en lui tant de vertus, sa légère affectation part d’un cœur si bienveillant que j’y trouve une certaine grâce. Il a neuf enfants, la plus haute moralité, une magnificence royale. Il y a quelques années qu’étant aux eaux de Spa, un village des environs fut consumé par un incendie ; tout le monde plaignait ces malheureux habitants ; Lord Bristol fit reconstruire le village tout entier à ses frais. De plus, il a beaucoup de penchant à la religion catholique, et j’espère qu’il finira par l’embrasser.

Ses filles sont fort belles, une surtout. Mais l’autre, Lady Georgina, a tant de fraîcheur, une si bonne santé, un visage si heureux et si calme que c’est un vrai plaisir que la regarder. Ils quittent tous Paris demain ; c’est à notre grand regret. Ils ont été pour nous, cet hiver, une société charmante. Au milieu du tourbillon du grand monde, tout habillés pour le bal, Lord Bristol, sa sœur et sa fille venaient passer la soirée avec nous. Je leur en saurai toujours bon gré.

Lord Bristol aime beaucoup sa fille Georgina. Un jour, nous sortions du spectacle, il faisait très froid ; le duc de Laval lui dit : « Mylord, il fait un froid de chien, comment n’avez-vous pas de redingote ? — Oh ! répondit-il, en regardant sa fille, elle a sa pelisse et quand elle a chaud, je n’ai pas froid. »


Vendredi soir.

Le duc d’Hamilton, qui était allé mener son fils au collège, est revenu, il y a quelques jours, d’Angleterre : il a passé la soirée avec nous aujourd’hui. C’est un homme de 45 ans, d’une figure grande et noble, très maigre, habillé de la façon la plus étrange. Ses manières sont parfaites ; il a une politesse très haute et pourtant très gracieuse ; il entend bien le français, il y a dans sa conversation beaucoup de mots anglais francisés et, en général, ils sont très expressifs.

Il a plus de finesse et de tact dans l’esprit que de profondeur et d’étendue : sa conversation est agréable et, surtout, il écoute à merveille. Il est bon et noble ; je le crois susceptible de dévouement et d’affection, et beaucoup plus sérieux qu’il ne le paraît. Mais il a des prétentions à la légèreté française, il a pris pour modèle nos jeunes marquis de théâtre et croit être le plus séduisant d’entre eux, en professant sur la galanterie et en jurant en français ; il est en même temps le plus radical et