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bien, comme je l’ai dit, à dix-huit et dix-neuf ans qu’Amélie Cyvoct, née en 1804, rédigeait ce Journal. On peut noter encore qu’il n’y est fait mention qu’une fois de Chateaubriand : en 1822, Chateaubriand était à Londres et à Vérone, en 1823, il était ministre et moins assidu à l’Abbaye-aux-Bois.

C. LENORMANT.


Je suis fille d’un médecin de Belley ; ma mère était charmante, elle me nourrit elle-même. J’ai deux frères : tous les souvenirs de cette partie de mon enfance ne se liant, ni par les personnes, ni par les habitudes, au reste de ma vie, je n’en ai gardé qu’un souvenir confus. En 1810, Mme Récamier, ma tante, vint aux eaux d’Aix-en-Savoie avec le baron de Voght [1] ; elle passa à Belley chez ma mère, et à Cressin chez ma grand mère, sa belle-sœur. Ma petite mine lui plut sans doute, elle me proposa de m’emmener, et charmée moi-même de sa bonté, éblouie de son élégance, de sa beauté, de sa voiture, j’acceptai de grand cœur ; elle en parla à ma mère ; croyant y voir mon bonheur et ma fortune, ma mère y consentit, quoique à regret. Mon pauvre frère aîné en était au désespoir, il ne voulait pas voir cette dame de Paris qui m’emmenait. Je partis : deux jours après, ma mère nous rejoignit à Lyon, chez une autre de mes tantes, Mme Delphin [2] ; mon départ lui coûtait trop, elle me ramena avec elle. L’année suivante, ma pauvre mère, âgée de 25 ans, mourut de la poitrine, le jour de Noël. Mon père crut utile pour moi de rappeler à la mémoire de ma tante la proposition qu’elle avait faite de me prendre auprès d’elle ; il lui écrivit la mort de ma mère ; elle consentit à se charger de moi : Mme Laurent Récamier, sa belle-sœur, qui se trouvait à Lyon, dit qu’elle me mènerait à Paris ; mais je refusai constamment d’aller avec elle ; ce n’était plus cette belle et bonne dame qui m’avait séduite ; au moment du départ, je me couchai sous un lit ; elle me laissa ; peu de jours après [3], mon père me fit partir avec des dames que je ne connaissais point, mais qui venaient à Paris.

  1. Le baron de Voght, Allemand de Hambourg, ami de Camille Jordan et de Degérando, philosophe et philanthrope. Mis en relation avec Mme de Staël par Jordan et Mme Récamier, il fréquenta quelque temps Coppet, puis s’en éloigna vers 1811, au moment où l’exil de Mme de Staël devint le plus rigoureux.
  2. Éléonore Récamier, l’une des quatre belles-sœurs de Mme Récamier, avait épousé à Lyon M. Delphin.
  3. A la fin de juillet ou dans les premiers jours d’août 1811.