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frappants, qui peignent fort exactement leur objet, parfois aussi quelques naïvetés. Il est certain qu’Amélie Cyvoct savait voir et conter. C’est qu’elle avait un esprit éveillé et remarquablement cultivé. Elle nous a dit, elle-même, quels soins sa tante avait apportés à son éducation. Tout enfant, pour exercer sa mémoire, on lui avait fait commencer l’italien et le latin et apprendre beaucoup de vers, qu’elle disait, paraît-il, fort bien. « Dans l’embrasure de la fenêtre d’un premier salon qu’il fallait traverser pour arriver à celui où ma tante recevait, ma petite table de travail et ma harpe étaient installées. Trois fois par semaine, M. Froment venait me donner des leçons d’histoire, de français et de géographie et Nadermann me donnait des leçons de harpe. Ma tante assistait à toutes mes leçons et, tandis que je rédigeais mes devoirs, que de fois en passant j’ai eu recours dans une difficulté d’orthographe ou de date à quelqu’un des amis de Mme Récamier ; le prince Auguste de Prusse a ainsi, plus d’une fois, réglé mes pages d’écriture. » Un peu plus tard, en 1817, — la jeune Amélie avait alors treize ans, — Mme de Genlis, pour être agréable à Mme Récamier, se chargea de donner chaque semaine à sa nièce le sujet d’une composition française et de la corriger ; je possède toute une série de ces devoirs annotés de la main de Mme de Genlis : ils sont fort curieux et, en relisant ces corrections d’une justesse et d’une précision implacables, on se prend à regretter, dans l’intérêt des bonnes lettres, qu’il n’y ait plus aujourd’hui de pédagogue de cette sévérité[1].

On ne possède aucun renseignement précis sur l’époque où ont été écrits ces fragments de Journal. Il paraît cependant possible de les dater assez exactement. C’est certainement une œuvre de jeunesse : la preuve en est dans l’écriture, très différente de celle que devait avoir un peu plus tard Mme Lenormant et qu’elle conserva jusqu’à la fin de sa vie. Les récits concernant la vie à l’Abbaye-aux-Bois ont été écrits jour par jour, au moment même des événements, et ces événements se rapportent tous aux années 1822 (alfaire de Saumur, mort du duc de Richelieu) ou 1823 (inauguration du pavillon de Saint-Ouen). D’autre part, il est très probable, en raison de la similitude du papier et de l’écriture, que le premier fragment, sur le voyage à Coppet et l’exil de Mme Récamier, date de la même époque. C’est donc

  1. Dans son livre sur Madame Récamier et les amis de sa jeunesse, Mme Lenormant rapporte l’anecdote suivante, qui fait honneur à la perspicacité de Mme de Genlis. « Un certain samedi, en venant dîner, M. Lemontey me trouva au désespoir et dans l’impossibilité de me tirer d’une phrase commencée, j’en étais tout en larmes ; il s’informa de la cause de mon chagrin, prit mon cahier et me dicta une phrase qui me tira d’affaire et me remit en train. La semaine suivante, quand revint la composition corrigée, nous trouvâmes en marge de la phrase dictée par Lemontey ces mots : « Cette phrase manque de jeunesse. »