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derniers Incas, mais ils prennent malgré eux l’allure de justiciers. Cette génération héroïque, qui fonda un empire immense, apparaît singulièrement diminuée par la soif de l’or qui l’anime ; sans doute quelques patriotes et quelques croyants ont lutté pour étendre le royaume d’Espagne et la chrétienté, mais aucun d’eux n’est arrivé au premier plan, sauf peut-être le grand inquisiteur Pedro de Gasca, qui vint rétablir l’ordre dans le Pérou révolté à la suite du code de 1543.

Sous l’influence de Las Cases, « protecteur universel de tous les Indiens, » le roi d’Espagne donnait aux peuples conquis de véritables droits dont la proclamation exaspéra les conquérants. Gasca, avec le titre de président de la Cour suprême (audiencia), avait tous les pouvoirs judiciaires, politiques, religieux et militaires. Mais il eut soin de ne les exercer que par l’intermédiaire des autorités compétentes ; simple, modeste, avec un clair bon sens et une volonté de fer que tempérait seulement une réelle bonté, il lui fallut pourtant quatre ans de rudes campagnes pour achever son œuvre, et, tout en remplissant le trésor de Charles-Quint, il resta et mourut pauvre. C’est peut-être dans l’histoire de sa mission qu’il faut chercher l’explication du rôle si important que les rois d’Espagne ont donné et maintenu à l’Inquisition dans leurs possessions d’outre-mer.

La réception des ambassadeurs à l’hôtel de ville nous reporte à la même époque ; Lima, la ville des Rois, est justement fière de son passé dont ses magistrats nous montrent les parchemins, véritables titres de noblesse dont les premiers datent de 1535. La capitale n’a que 180 000 habitants ; avec le Callao et les villes de plaisance ou d’industrie qui l’entourent, c’est un groupement de plus de 300 000 âmes, dans un Etat de 5 millions d’habitants, mais une longue civilisation donne à ces citadins une importance particulière, et le rôle historique de leur ville lui confère un prestige unique dans l’Amérique latine.

« Le Cabildo, » composé des magistrats municipaux, avait des pouvoirs très étendus pour l’administration et même le Gouvernement de la Cité, et il appelait parfois le peuple à délibérer avec lui dans des circonstances graves, formant alors le « cabildo aperto ; » cette institution transportée d’Espagne dans le Nouveau Monde a certainement préparé le peuple au Gouvernement libéral qui s’étendit à la province, puis à la nation. Le comte de la Vinaza a remarqué avec raison que l’Europe