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Bientôt il faut mettre une vareuse de drap par-dessus nos vêtements de toile blanche ; l’eau de la mer a passé de 26° à 16° centigrades. La machine à glace du bord, qui ne pouvait abaisser, la température que d’une vingtaine de degrés, s’était arrêtée bien fâcheusement dans la mer des Antilles : elle peut maintenant fonctionner. Autre conséquence non moins piquante : le « baptême de la ligne, » auquel doivent se soumettre à bord la plupart de nos marins qui effectuent leur premier passage, se présente sous la forme d’une douche un peu trop rafraîchissante, qui fait visiblement frissonner les patients.

L’aspect dénudé de la côte s’explique par le manque de pluies ; la conséquence, c’est que le guano, engrais animal que fabrique activement la prodigieuse quantité d’oiseaux que nous voyons autour du croiseur, a pu longtemps subsister par masses énormes, dont l’exploitation a enrichi le pays : un régime de pluies normal l’aurait entraîné à la mer au fur et à mesure qu’il se formait ; mais toute la zone côtière est privée des eaux du ciel ; elle n’est arrosée que par les petites rivières qu’alimentent les glaciers des Andes, et la culture est forcément limitée à leur vallée. Les nombreux ouvrages que j’ai emportés de France n’expliquent guère cette absence de pluie ; sans doute, les sommets des Andes qui se dressent presque verticalement de 5 000 à 7 000 mètres d’altitude arrêtent les nuages apportés par les vents alizés et ils se résolvent en pluies diluviennes dans le bassin de l’Amazone, où, pendant des mois, tombe chaque jour plus d’eau qu’à Paris pendant une année entière ; mais la zone côtière, la Costa, est couverte d’une épaisseur de nuages qu’on mesure en s’élevant sur les Andes et qui varie de 200 à 400 mètres, quelquefois davantage. Pourquoi jamais ne retombent-ils en eau ? C’est, disent quelques-uns, parce que la végétation est insuffisante pour provoquer leur chute ; mais cette insuffisance de la végétation vient précisément du manque de pluie. Pourrait-on sortir de ce cercle vicieux par un reboisement progressif ? Il ne semble pas que ce problème ait été étudié, et il est d’importance. Car les gisements de guano sont à peu près épuisés, et leur reconstitution ne pourrait être qu’une œuvre séculaire dont l’intérêt est bien minime près de l’avantage inappréciable que procurerait un régime de pluies normal.