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Turquie. Il semble que le Gouvernement d’Angora soit pressé, avant l’ouverture des conférences de Lausanne, de placer les Alliés devant des faits accomplis. D’autre part, des troubles ont éclaté à Constantinople où la surexcitation des musulmans devient inquiétante ; on signale que des officiers et des soldats turcs passent chaque jour plus nombreux en Thrace ; d’autres auraient débarqué dans la péninsule de Gallipoli. Les Gouvernements alliés ont dû autoriser leurs hauts-commissaires à établir, au besoin, l’état de siège.

La paix en Orient ne tient qu’à un fil, ou plutôt à la volonté-pacifique de Moustapha Kémal et des Alliés. Puisse l’ouverture de la Conférence apaiser bientôt les esprits ! Les chefs des Gouvernements balkaniques échangent des visites qui décèlent leurs appréhensions. M. Politis, ministre des Affaires étrangères de Grèce, s’est rendu à Belgrade ; M. Stamboulisky, président du Conseil de Bulgarie, est allé à Bucarest et se dispose à partir pour Belgrade ; on signale, dans les Balkans, notamment en Jougo-Slavie, des préparatifs militaires. Le péril turc, chaque fois qu’il deviendra menaçant, aura pour effet de reformer le bloc balkanique. Est-ce ce résultat que Moustapha Kémal veut atteindre ? Ou ne voit-il pas qu’une nouvelle guerre, déchainée par les Turcs, ne profiterait qu’aux éternels ennemis de la Turquie, les Russes, et que les Turcs perdraient l’appui de la France, le seul sur lequel ils aient le droit de compter, bien qu’ils ne ménagent guère ses intérêts ni ses susceptibilités les plus légitimes. Les plaies que l’on néglige de soigner et que l’on envenime à plaisir deviennent difficilement guérissables ; c’est l’effet que la politique de M. Lloyd George et la mésintelligence franco-anglaise ont produit en Orient ; il n’y a de remède que dans une étroite entente des trois Grandes Puissances alliées pour une solution rapide et juste. Le cabinet Bonar Law, que les élections imminentes vont, on a le droit de l’espérer, consolider au pouvoir, s’est donné pour tâche de réparer les fautes de son prédécesseur ; il ne parviendra, en Orient, à en pallier les conséquences qu’en laissant, dans l’intérêt commun, la France prendre les décisions et conduire les négociations qui assureront la paix.


RENÉ PINON


Le Directeur-Gérant :

René Doumic.