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Telle est cette loi historique qui marque le commencement d’une nouvelle ère dans l’histoire ottomane. Le Sultanat, par la volonté de l’Assemblée d’Angora et de Moustapha Kémal, cesse d’exister comme pouvoir politique ; bien plus, cette décision a un effet rétroactif et doit dater du 16 mars 1920, c’est-à-dire du jour ou les Anglais eurent l’étrange idée de faire une entrée en armes dans Constantinople et d’affirmer leur suprématie en dispersant l’Assemblée, en exilant à Malte ses membres les plus en vue et tout d’abord ceux qui passaient pour les amis de la France. Le gouverneur de la Thrace pour le compte de l’Assemblée d’Angora, Réfet pacha, a donné, dans plusieurs allocutions ou conversations publiées dans les journaux de Constantinople, quelques explications sur le caractère du Gouvernement de la Grande Assemblée. Il est une sorte de superdémocratie, de gouvernement direct de la nation par elle-même ; pas de monarchie, pas non plus de république, ce qui impliquerait un président, des ministres ; seulement la nation elle-même, seule souveraine, dont la souveraineté s’exerce par l’Assemblée qui a le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Le régime constitutionnel est dangereux parce qu’il comporte une fonction irresponsable ; il faut supprimer l’idée de responsabilité et on y arrive en instituant le gouvernement direct par l’Assemblée ; « l’homme est faillible, mais la communauté a une âme, et l’âme de la communauté a su trouver le droit chemin... » L’œuvre d’unité que Selim le Grand n’a pu réaliser, le Turc, continuant son histoire, va l’achever. Ce n’est pas une personnalité qui l’accomplit, c’est l’Idéal, « l’idéal qui jaillit de derrière les nuages comme les lumières et les clartés... Cet idéal de nation, de nationalisme, c’est l’idée fondamentale de la souveraineté de la Nation. » Cette forme nouvelle de gouvernement démocratique, c’est la découverte du génie oriental ; Nous sommes Orientaux et nous resterons tels : sous ce titre un journal turc, le Tevhidi-Efkiar, commentant ma chronique du 15 octobre et cherchant à y répondre, s’efforce de démontrer que les malheurs de la Turquie ne sont pas dus, au contraire, à son manque de civilisation européenne ; la civilisation orientale lui est de beaucoup supérieure au point de vue moral, du caractère et de la force. Les Turcs n’ont besoin d’imiter aucune autre civilisation : au contraire, c’est maintenant d’autres qui doivent venir apprendre la civilisation chez eux, en acceptant leur religion et leurs coutumes ; il leur suffira, à eux, de se perfectionner sous le rapport technique. — Nous ne souhaitons, pas, tant s’en faut, que les Turcs deviennent des Occidentaux ; nous leur