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temps, nous traversons quelques groupes de maisons muettes, des hameaux qui semblent dormir. C’est une chose singulière comme la moindre pluie tue en Chine toute activité : en voyant la vie s’arrêter pour si peu, on pense à ces personnages des contes de fées, qui mouraient d’une petite piqûre. Enfin, j’aperçois un grand portique de pierre à cinq baies. Il ouvre le pays des tombes. En face de lui se dresse une porte rouge, où commence la route dallée qui ne s’arrêtera qu’aux tombeaux. Elle arrive d’abord à un pavillon carré, rouge lui aussi, entouré de quatre colonnes blanches où s’enroulent des dragons. Il abrite une grande tortue qui porte une stèle. Je continue d’avancer, et bientôt il me semble que je suis attendu. Dos deux côtés de la route, sans piédestal, à ras de terre, tout un bétail de pierre est rangé, lions, unicornes, chameaux, chevaux, éléphants, chaque animal représenté par deux couples, l’un debout, et l’autre à genoux. A vrai dire, ce sont les formes ineptes de la sculpture des Ming, épaisses sans être puissantes, grossières sans être barbares. Mais l’ensemble impose. D’autres statues continuent la haie, des mandarins militaires et civils, les uns engoncés dans leurs cuirasses, les autres empêtrés dans leurs longues robes. L’herbe maigre frissonne autour d’eux. La route se détourne, passe encore sous un portique, franchit deux ponts, et alors j’aperçois au loin, tout autour de moi, dans l’air gris où rien ne ressort, les monuments funéraires. Ils sont là tous les treize, disposés en un vaste cercle au pied des montagnes, aux lieux excellents et indiscutables choisis par les géomanciens. A mesure que j’avance, ceux dont j’approche dégagent sans hâte de l’air pluvieux leur enceinte rouge, leur hauts pavillons appuyés aux arbres. Ce qu’on remarque d’abord, c’est l’élégante discrétion de leurs proportions. Ils n’ont rien d’outré, rien d’emphatique, rien de funèbre non plus On ne croit voir que d’agréables séjours de campagne. J’en ai visité plusieurs. Tous sont bâtis sur le même plan ; celui de l’empereur Yong-lo est un peu plus grand que les autres. On m’ouvre une porte et je me trouve dans un jardin sauvage et charmant, qui semble entièrement repeint par la pluie. Derrière le vert rajeuni des plantes, le rouge du mur est doux et trempé comme celui d’une étoffe. Un bâtiment tout simple borne cette première cour. La seconde est limitée par un édifice plus important, qu’exhaussent trois terrasses de marbre blanc et dont le