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bat des ailes dans cet air changé, où il semble, entre les objets incertains, rompre les distances du jour, qui ne sont pas remplacées encore par celles du clair de lune.


L’ŒUVRE DES JÉSUITES

Le catholicisme existe à Pékin dans beaucoup d’œuvres vivantes. Aujourd’hui, j’ai cherché sa trace dans les ruines. Je suis allé visiter la partie du Palais d’été que les Jésuites construisirent pour l’empereur Kien-Long et qui fut brûlée, comme on le sait, par les troupes franco-anglaises, en représailles des tortures infligées aux parlementaires. Après un court trajet en auto, nous mettons pied à terre devant une porte que nous franchissons [1]. On marche ensuite dans une légère cavité que comblait autrefois l’eau d’un grand bassin. Autour de nous croissent de grands roseaux, plus loin surgit la masse indéterminée des ruines, plus loin encore des montagnes nues se subliment dans la lumière. Je me crois au milieu de la campagne romaine : c’est la même clarté vaste et dépeuplée, à peine un peu plus sèche. Au lieu de se dissiper, mon illusion se confirme à mesure que nous avançons. J’aperçois de la pierre, des ordres, j’éprouve de la joie à revoir, même en morceaux, les fermes éléments d’une architecture, à retrouver, comme une sœur, la jeune, la fière, l’immortelle colonne.

Un petit bâtiment montre ses fenêtres qu’orne une coquille. Le sol est couvert de vasques de pierre, de balustrades rompues, tout cela blanc et comme récent, sans aucun air de vieillesse : une base d’autel à l’antique subsiste encore ; à côté, des ponts minuscules font leur bond léger, et il semble vraiment qu’on voie les deux mondes essayer, dans ces jeux, de mêler et de confondre leur esprit. Nous sommes maintenant au bas de l’escalier à double révolution qui était autrefois bordé de jets d’eau. Il nous conduit à une terrasse : un pavillon carré s’y élève, orné de panneaux où l’émail chinois revêt des

  1. Je faisais cette promenade avec M. Auguste Boppe, ministre de France en Chine, dont j’avais alors l’honneur d’être l’hôte, et qui, depuis, est mort à son poste. Je m’en voudrais de laisser passer cette occasion de saluer sa mémoire : diplomate passionné pour le service de la France, amateur fin et curieux de tous les arts, ses amis n’oublieront pas le charme et la sûreté de son commerce, ni la sensibilité ex<uise qu’il cachait sous les dehors d’un parfait homme du monde.