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vois une fois de plus les éventaires en ordre, avec les tabatières, les cuivres, les vieilleries banales ou fausses ; plus loin, sont rangées des fleurs de velours. Les combinaisons de couleurs qu’on emploie ici diffèrent tout à fait de celles dont nous avons l’habitude. Il s’y marque une prédilection pour les nuances les plus tendres, rapprochées parfois d’une couleur grasse, d’un vert, d’un grenat épais, que borde une zone blanche. La nature semble suivre les mêmes goûts, et certaines pommes, des poires, des khakis ont ces teintes lissées, et présentent ce mélange de vivacité et de fadeur qui ne se voit chez nous que sur les fruits de cire. Voici maintenant des jouets, des insectes de drap d’une vérité surprenante, de petites cigognes palpitantes au bout d’un fil, des sauterelles et des papillons où, par le plus simple artifice, les saccades de la vie sont rendues avec tant d’exactitude qu’une observation aussi perspicace semble moins relever de l’art que d’une sorte d’astuce et de malice. J’admire des tortues d’herbe tressée, où deux petites baies imitent les yeux, et dont la vie parait si bien dérobée à l’animal qu’elles représentent, qu’il faut que celui qui les a faites soit un vrai sorcier. Je le regarde, et je ne vois qu’un pauvre homme borgne, accroupi, qui rit machinalement en levant vers les acheteurs sa tête imbécile. Peut-être recommence-t-il seulement ce qu’un autre lui a montré. Peut-être celui-là avait-il été enseigné de même. Dans la cascade de répétitions dont sont faits les travaux de l’Orient, on n’est jamais sûr de toucher à une invention, à une origine.

La foule nonchalante passe entre les étalages. De petites Chinoises grasses marchandent une pierre précieuse qui semble les fasciner comme un œil de serpent. D’autres traînent leurs enfants : une porte dans ses bras un poupon, couronné d’un diadème de drap, enroulé dans une étoffe noire et jaune qui imite une peau de tigre. Là-bas un aigre son de métal annonce un petit théâtre. Certains aspects rappellent nos anciennes foires : des gens attablés mangent goulûment, mais leur ripaille est silencieuse ; un homme nasille une complainte, tout en montrant des tableaux qui répondent aux couplets qu’il chante. Un charlatan vend des poudres, un autre des charmes contre les venins, et, pour manifester son immunité, il répand sur son buste nu des scorpions, de petits serpents qu’il rafle ensuite, d’une main distraite. Des vieilles sans dents, sans cheveux, pareilles à certains grotesques de Léonard, poursuivent l’étranger