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PETITS MÉTIERS

Il y a plusieurs personnages dans le voyageur : l’étudiant, l’observateur, le flâneur. Chacun doit avoir son heure, et la façon dont un paresseux se pénètre d’un pays vaut bien, parfois, celle dont un curieux s’en informe. Je me promène, j’entre dans les boutiques : il n’en est pas une où l’on ne trouve à présent un pied de cannelle, dont les fleurs jaunes, groupées comme une colonie d’insectes, exhalent une odeur aigrelette délicieuse. Je vais à la recherche des petits métiers. Les arts ont péri, mais eux, en dépit de tout ce qui les contrarie, s’obstinent à ne pas mourir, comme ces menues branches qui verdoient quelque temps encore sur un arbre renversé. Voici la rue des marchands de cuivre, les échopes caverneuses où des forgerons demi-nus battent le fer couleur d’aurore. Un râtelier de sabres de bois, alternativement verts et rouges, annonce la maison d’un armurier. Plus loin pendent en enseignes de petits tapis. Une autre boutique n’est pleine que d’instruments de musique, qui, effilés, ventrus, cambrés, la font ressembler à un chantier de navires, et que sont-ils d’autre, en effet, que les navires de l’âme, qui lui permettront de partir ? Les marteaux cognent, les navettes courent, le feu boiteux danse au fond des forges antiques. Toujours, sur les murs, reparaissent les grands caractères, qui, pareils aux carcasses d’oiseaux qu’on voit chez nous, fixées sur les portes, semblent partout, ici, le squelette desséché d’une idée autrefois libre, ailée et vivante.

Ce matin j’avance entre des maisons basses, dans une rue aux faibles zig-zags, étroite comme un corridor, au sol rompu de soleil et d’ombre. Des deux côtés pendent de gros glands, d’épaisses torsades de laine. On vend ici les grosses fleurs de velours, les épingles d’émail que les femmes piquent dans leurs cheveux, et ces petits bijoux qu’aiment les Chinoises et qui sont faits en plumes de martins-pêcheurs. Les artisans attentifs, dans les boutiques, en ont près d’eux des pincées, qu’ils appliquent, à l’aide d’une lancette, sur des montures de cuivre ou de carton doré ; ces plumes sont d’un bleu admirable, où la lumière semble rester prise : ainsi nait toute une joaillerie couleur d’illusion, des bandeaux qui semblent vraiment tombés du front d’une fée céleste, des phénix, des papillons agrandis, des dragons