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ouverts. Derrière celle de la Chine, sauf quelques suicides, il n’y a que des pinceaux et des textes : moins corsetée, moins aiguë, plus civile et plus pacifique, c’est elle qui faisait de l’immense empire ce spectacle admirablement composé, à la fois exact, solennel, et, parfois aussi, pompeusement futile, qu’admiraient les étrangers. Ailleurs les dons immédiats de la nature pouvaient être plus généreux, l’homme plus vivace et plus magnifique. La politesse était la poésie de la Chine. Cette poésie s’en va, et ce n’est plus que par occasion qu’on rencontre ici quelqu’un qui puisse nous donner l’idée de ce qu’elle fut.

Un soir, à un dîner où j’étais convié, comme je m’approchais d’un vieillard coiffé d’une calotte de soie, vêtu de la veste noire et de la jupe grise qui composent un costume aussi simple que décent, celui-ci, tournant vers moi un visage alerte, me surprit en m’adressant la parole dans le meilleur français. J’eus la bonne fortune d’être placé à côté de lui : déjà l’on m’avait appris qu’il avait plus de quatre-vingts ans, ce qui ne paraissait guère à sa mine, mais moins encore à sa conversation, légère, infatigable, et d’une agilité presque voltairienne Dans les allusions qu’il faisait à notre littérature, je découvrais un fonds solide qu’il devait, je l’appris plus tard, à l’éducation des jésuites. Mais ce qui était proprement chinois, c’était ce goût presque espiègle de jouer avec les idées, cette docte futilité, ce plaisir de toucher à tous les sujets sans en retenir aucun.

Sous le papillotement des mots, échangions-nous vraiment nos pensées ? Je n’ose le croire. Mais quelle illusion que celle de notre rapprochement ! Il me semblait que je faisais un rêve, et qu’en un paysage sourcilleux, entre les parois à pic des deux mondes, au-dessus du gouffre vertigineux, au fond duquel un fleuve grondait, j’avançais sur un pont léger, où, dans un pavillon pavoisé de banderoles flottantes, je me trouvais face à face avec ce vieillard riant ; et enchanté de cette réunion où tant de distances semblaient s’abolir, j’appelais ce pont, à la chinoise, celui de la Communication des lettrés, et ce pavillon, celui de la Rencontre délicieuse.


PÉKIN, L’AUTOMNE

La clarté tout autre annonce une nouvelle saison : au lieu de la lumière de l’été, épaissie d’un dépôt d’or, qui prodiguait aux