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étaient bonzes, d’autres ministres, un d’eux empereur. Apres avoir satisfait aux devoirs de leur charge, ils trouvaient en eux leur art pour exprimer leur humanité. Leur œuvre se détachait d’eux comme la feuille morte qui tombe d’un arbre à l’automne, et qu’il cède facilement à la moindre brise, mais où nous voyons le témoignage admirable de toute sa sève. Dans de pareilles dispositions, on comprendra qu’ils fussent bien loin de faire commerce de leurs ouvrages. Un d’eux, Wang Mong Toan, était intraitable sur ce point. Une nuit qu’il rêvait seul, dans sa maison, un chant de flûte s’éleva, qui fleurissait le silence, si pur que Wang, ému, sortit à la recherche du musicien. A travers l’ombre tranquille, il remonta jusqu’à la source du chant, et reconnut un amateur auquel il avait obstinément refusé de vendre une de ses peintures, et qui venait de mériter qu’il la lui donnât.


EN FLÂNANT

Cet après-midi, dans la grande rue de la ville chinoise, voyant que la foule faisait la haie des deux côtés, j’ai attendu avec elle. Bientôt j’ai aperçu quelques bustes de soldats en gris, affaissés sur leurs chevaux, et conduits par un vieil officier pareil à une momie. Des fantassins ont suivi, puis plusieurs charrettes basses, sur chacune desquelles un homme était ligoté, gardé par deux ou trois soldats accroupis. Ces hommes, qu’on menait fusiller un peu plus loin, portaient sur la peau une casaque de toile blanche, couverte de caractères relatant leurs méfaits, et cet accoutrement leur donnait assez la mine des condamnés de l’Inquisition, tels qu’on les voit dans les images. C’étaient, parait-il, des pillards, ou, du moins, ils en tenaient la place. Un d’eux, vigoureux, brutal, regardait la foule avec une sorte de violence immobile. Un autre, l’air chafouin, le teint jaune et vert, était comme une bête prise au piège qui regrette ses terriers et sa nuit. Le cortège s’est éloigné dans la poussière lumineuse.

Je suis revenu en pensant à tout ce qu’on raconte sur l’impassibilité avec laquelle ces gens-là subissent la mort. Jusqu’à ces derniers temps, on n’usait pas, dans les exécutions, de la fusillade. Le bourreau décapitait ses victimes l’une après l’autre et rien n’est comparable à la tranquillité et, si l’on ose