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l’Extrême-Orient, il est plus difficile de remonter jusqu’à des œuvres originales, et même jusqu’à des copies anciennes. Maintenant, pourtant, nous connaissons ces peintures. Sur le fond crépusculaire de la vieille soie, les objets reproduits semblent flotter sur de la pensée : la brise incline des fleurs taciturnes, et un esprit de fraternité épouse et suit la courbe des feuilles. Des jeunes femmes, dans un parc à peine évoqué, échangent des sourires presque effacés ; des solitaires méditent dans les montagnes, tellement ramenés à la nature que leur corps lui-même revient au dessin tortueux des arbres et à l’aspect rugueux des rochers ; des palais surgissent au-dessus des nuages, et si près du ciel qu’on ne sait pas s’ils sont là plus haute demeure des hommes ou la plus basse des génies. Un paysage s’étend avec ses collines, sas bouquets d’arbres, une barque, comme un insecte, posée sur les eaux ; mais qu’on s’approche, qu’on regarde mieux, et l’on verra tout l’espace, comme un voile flottant qui n’est fixé qu’en un point, s’attacher à un petit contemplateur tracé sur le bord. Ou bien ce sont des images bouddhiques, des portraits de prêtres, c’est la cascade du Musée de Kyoto, peinture souveraine de la force nue. Plus tard, dans l’art compliqué de la décadence, les sujets devaient se surcharger et s’enrichir. Alors les paons étalèrent leur jardin de plumes, le phénix se guinda d’un air prude sur ses pattes rouges, la licorne fit des pointes sur ses noirs sabots fendus, les rochers devinrent de fantastiques entassements de turquoises. Mais ici, les montagnes sont simples comme des tentes, leurs sommets alternent avec les nuées, l’oie sauvage plonge vers les étangs, une feuille qui tremble au vent transmet son frémissement au cœur du pèlerin solitaire.

Ces œuvres sont entre elles fort différentes, selon les écoles et les époques, depuis la plénitude royale de l’art des T’ang, jusqu’à la délicatesse presque frissonnante des Song. Elles gardent cependant des caractères communs. Rien ne ressemble moins que l’esprit qui règne en elles à l’observation myope des petits maîtres, à cette assiduité tout extérieure qui cerne les choses sans réussir à s’emparer de leur âme. C’est qu’ici l’homme ne s’est point placé sur un piédestal qui l’isole ; il a tout pris au sérieux. On trouve dans l’art chinois et japonais dis représentations d’animaux, d’oiseaux par exemple, si gonflées de vie, si bien refaites du dedans qu’elles ne seraient pas