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traînent leurs bannières, mais cette vie exacte, prise dans la glu riche et profonde des vernis, est comme transcrite et transposée dans la discrétion des rêves. La laque semble avoir été créée pour que nous puissions contempler en plein jour le monde des songes : les paysages ne se dessinent que par quelques lignes pointillées d’or, comme ceux qu’on aperçoit dans les premières phosphorescences du sommeil ; les paravents déploient, sur leurs parois taciturnes, de longues histoires aux détails précis. D’autres meubles, où des incrustations de pâtes de verre et de pierres dures imitent des oiseaux, des fruits, des fleurs et des papillons, ouvrent à nos yeux les riches ténèbres d’une forêt enchantée. Des panneaux plus anciens encore étalent sous leur surface lisse tout un paysage aux couleurs muettes, endormi, noyé, englouti dans les profondeurs onctueuses où le regard se délecte. Mais le mystère qu’on goûte pleinement dans cet art nocturne peut s’en détacher pour nous apparaître, encore épuré, dans des œuvres claires : ce sont ces admirables céramiques Yuan et Song, les unes couleur de lait ou d’ivoire, les autres inondées d’un opulent émail bleu-pâle, et qui n’ont pas d’autre parure que celle de leur forme et de leur nuance. Nous sommes maintenant bien au-dessus des bavardages trop diserts de la décadence : comme on arrive à la neige en s’élevant vers les sommets, ainsi, sur les hauteurs de cet art, nous avons trouvé le silence.


Nous pouvons envisager maintenant les suprêmes productions de cet art, les grandes peintures. Nous savons qu’il y en eut d’admirables en Chine bien avant notre ère, et la plus ancienne que nous ayons, le rouleau incomplet conservé au British Museum, et qui parait bien être l’original peint par K’ou Kai Tcheu au IVe siècle après Jésus-Christ, est une œuvre savante et raffinée entre toutes. Mais c’est sous les Tang, les Song et les Yuan, du VIIe au XIIIe siècle, que cet art devait se manifester en œuvres diverses, les unes parées du prestige de la couleur, les autres ne demandant leurs ressources qu’aux teintes de l’encre, mais dont les plus belles ne le cèdent à rien d’humain. Abritées dans le mystère des temples, dans le secret des collections, elles se sont révélées à nous d’autant plus lentement que, parmi les innombrables reproductions dont est constitué l’art de