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ou de jade qu’on mettait au pouce pour tirer de l’arc, et les cages de filigrane où l’on enfermait une fleur parfumée ; sur tout ce brillant fouillis papillonne un vol d’éventails ; au-dessus planent des cerfs-volants. Ce qu’annoncent ces petites choses, c’est une frivolité compassée, une vie minutieuse, un goût d’étiquette et d’afféterie. La décoration, si ingénieuse qu’elle soit, n’en est pas laissée au caprice, et les emblèmes, les oiseaux, les fleurs, ont un sens augural ou officiel. Mais cette féerie naine, un peu rabougrie, se continue par d’autres objets plus rares. Ce sont tous ceux qui ont été sculptés dans la pierre dure. Parmi la mollesse figée de ces feuilles de malachite, entre ces grenouilles de jade, ces pêches de quartz rose ou d’améthyste, ces petits arbres aux fleurs de nacre et de corail, on croit errer dans le verger d’Aladin, dans un monde incorruptible, plus dense, plus concentré, moins naïf que celui qui rit au soleil. L’artisan, ici, a dépensé son temps d’une façon si prodigue qu’elle parait hors de proportion avec la durée de la vie. Cependant il n’a rien fait pour que son œuvre emportât son nom. Il s’est uniquement attaché, avec une curiosité insistante et pour ainsi dire adhérente, à l’objet qu’il voulait reproduire. L’ouvrage de l’art finit alors par s’égaler à celui de la nature, tous deux s’étant accomplis dans les mêmes fastes de patience. Nous ne savons plus ce que peut communiquer à une œuvre humaine de prestige occulte, de sourde importance, la longueur des soins dont elle émane, jointe à l’effacement de l’ouvrier. Ces fruits transfigurés dans l’agathe ou l’ambre, ces vases de cristal dont la forme inattaquable ne semble englober qu’un volume d’air, font moins penser à ce que sont, chez nous, les résultats de l’adresse manuelle qu’aux réussites anonymes que produit parfois, dans les grottes, ou au fond des mers, la secrète application des forces obscures. Autour d’eux surgissent les porcelaines brillantes et froides du XVIIe et du XVIIIe siècle, les unes vêtues seulement d’une couleur rare, les autres couvertes de scènes mondaines, qui, sous la défense de l’émail, semblent offrir à nos yeux, dans une ironique évidence, le spectacle d’une société où il nous est interdit d’entrer. Les laques continuent les mêmes récits, mais ce qui n’était, sur la porcelaine, qu’un froid babil, prend alors le charme plus sourd d’un conte. Aux portes noires et limpides des grandes armoires, des passants cérémonieux se saluent, des pêcheurs jettent leurs filets, des jonques