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imperceptible sourire. Parfois il pousse la complaisance jusqu’à pêcher un des poissons les plus rares ; celui-ci se laisse faire, baille bêtement sur le minuscule plateau de mailles, puis, replongé dans l’eau, s’y enfonce avec langueur. Sur nos têtes passe un son rauque et doux. C’est un vol de pigeons, qui emportent à travers le ciel les sifflets qu’on a pendus à leur cou. Alors, engourdi et gagné par une espèce de somnolence, on pense aux amusements studieux et menus de ce vieux peuple, aux combats de grillons, aux scarabées qui traînent des chars de papier, aux jardins étroits où tout un paysage semble avoir été resserré par l’art et l’astuce d’un magicien.

C’est bien le pays où les sculpteurs de noyaux se sont acquis la réputation la plus sérieuse, où, dès le IIIe siècle avant Jésus-Christ, un courtisan passait trois ans à peindre sur une fève des dragons, des oiseaux, des chevaux, des chars. Il offrit ensuite son œuvre au prince de Tcheou. Celui-ci ne vit qu’une fève rouge et se mit en colère. « Construisez, dit le peintre, un mur de dix planches, ouvrez-y une fenêtre de huit pieds, et examinez, à cet endroit, la fève dans l’éclat du soleil levant. » Le prince fit ainsi, et aperçut alors les histoires dont elle était couverte. Il y a toujours eu dans le goût chinois un besoin de tout enfermer et de tout réduire, mais ce goût, dans les derniers siècles, est devenu dominant. Il leur faut les arbres nains, les étangs qui représentent des mers, les bassins qui représentent des étangs, les cailloux qui figurent des montagnes, sans qu’ils s’arrêtent jamais dans ces inventions diminutives. On dirait qu’ils n’aiment vraiment que ce qu’ils ont capté, ce qu’ils tiennent à leur merci, sans qu’on sache jamais dans quel sens va se développer leur sollicitude ambiguë, du côté de la caresse ou de la torture.


Au moment même où la vieille Chine s’abime, la bibeloterie chinoise devient à la mode. Alors qu’une désolante uniformité s’étend sur la terre, on dirait qu’un instinct nous avertit de sauver, fût-ce dans des riens, l’âme des mondes qui disparaissent. A la lisière de l’art chinois, comme un buisson chauffé, enrichi, paré par l’automne, on aperçoit d’abord un enchevêtrement de longs glands de soie, de colliers, de boucles, des tabatières, des noyaux sculptés, des lanternes, et les anneaux de bois