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Quelle fut ma surprise, dans notre entretien avec le général, sur les efforts que nous devions faire pour ramener la discipline, d’entendre cet officier dire avec beaucoup de suffisance qu’il regrettait beaucoup de s’être trouvé absent du régiment pendant les événements, que sa présence au corps, et l’influence qu’il y exerçait, auraient empêché le 15e de prendre part à cette lutte, et que, dès le premier jour, il l’aurait entraîné à se mettre du côté du peuple ! Cette impudence me révolta, et amena cette réponse fort simple et très naturelle : « Et le devoir, et vos serments ? » Le général approuva de la tête mon observation et nous congédia.

Sur la place, nous eûmes une vive altercation où je lui reprochai le blâme qu’il semblait vouloir jeter sur ceux qui n’avaient fait que mettre en action ce que lui-même avait si souvent recommandé dans ses allocutions à la troupe assemblée, où il ne savait quelles expressions employer pour parler de sa fidélité, de son dévouement au Roi et de son amour pour la famille royale. Voilà bien l’esprit de beaucoup des hommes que j’ai connus ! Quand l’idole est debout, ils l’encensent ; quand elle est à terre, ils lui donnent un coup de pied.

Ce même jour, le Duc d’Orléans fut reconnu lieutenant-général du royaume, ayant accepté l’offre que lui avait faite la Chambre des députés de se mettre à la tête du Gouvernement provisoire. Son arrivée à Paris et sa présentation au peuple par le général La Fayette sur la place de Grève, produisirent un bon effet sur tous les hommes amis de leur pays. On ne désespéra plus du salut de la patrie.


J.-B. BARRES.