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on se retira fort satisfait, en criant : « Vive le commandant, vive le 15e léger ! » Quant à moi, je les envoyai au diable de bien bon cœur. Je fis de suite armer de nouveau les chasseurs qui ne l’étaient plus, et reprendre à chacun les postes qui leur étaient désignés.

Je n’eus qu’à me louer des commissaires avec lesquels je traitai. Ils furent pleins de bons procédés. Pour atténuer tout ce que cet événement avait de douloureux pour moi, ils me firent de bienveillants compliments sur la manière dont j’avais conduit cette affaire jusqu’à sa fin ; sur le succès que j’avais obtenu pour la conservation des magasins, sur ma conduite prudente et habile de la veille, place du Panthéon, etc. Malgré tous ces éloges exprimés avec générosité, l’idée d’avoir remis des armes sans combattre m’obsédait comme un reproche. Il me semblait que j’avais terni par une honteuse condescendance mes vingt-six années de service. Du reste, je ne vis pas, dans les regards des officiers, un seul signe de blâme ni de mécontentement ; au contraire, ils me témoignèrent tous leur profonde gratitude, et leur satisfaction de s’être tirés honorablement d’une position assez délicate. Pour me le prouver, ils m’embrassèrent tous. Cet épanchement de l’âme, après une crise semblable, avait quelque chose de salutaire pour nous. Si ce n’était pas une justification, c’était du moins l’approbation de tous.

Nos casernes de Lourcine et du Foin furent pillées, mais les soldats qui les occupaient furent respectés. Le même sort fut réservé aux casernes des gardes du corps, de la garde, et des autres régiments de la garnison. Celle de Babylone, où étaient les Suisses de la garde, fut défendue d’abord, et ensuite abandonnée, après avoir vu tomber plusieurs des Suisses, sous les coups d’une attaque en règle par une masse d’insurgés. Heureusement les défenseurs purent gagner les boulevards dont ils étaient proches, car ils auraient été tous massacrés. Après qu’ils l’eurent pillée, les insurgés y mirent le feu.

Peu de temps après que j’avais remis une partie de mes armes, d’autres bandes d’insurgés se présentèrent. Il fallut leur eu donner encore ; d’autres suivirent avec les mêmes exigences. C’était en vain que je leur disais que je n’en avais plus, ils eu voulaient absolument. Ils demandaient à visiter la caserne, ce que je refusais obstinément. Pour éviter ce malheur et le contact de ces hordes déguenillées, je fis prendre quelques