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aucun plan de conduite que celui que l’honneur me prescrivait de suivre : me défendre et mourir. Cependant, quand je sus par des avis secrets que ma caserne était mince, que des pétards étaient préparés pour faire sauter les portes et un mur mitoyen qui séparait les jardins voisins d’avec la cour du quartier ; que des matières incendiaires devaient être jetées pour la brûler, que des troupes de la garnison (2 régiments, 5e et 53e de ligne) avaient arboré la cocarde tricolore, que la Garde royale elle-même ne voulait plus se battre, que tous fuyaient vers Saint-Cloud, et que l’évacuation de Paris serait complète avant quelques heures, si elle ne l’était déjà je compris, après y avoir bien réfléchi, que ma position n’était ni raisonnée, ni tenable. Accepter le combat, c’était vouer à une mort certaine les quinze officiers et les deux cents soldats, bien portants ou malades, que j’avais avec moi ; c’était vouer à la destruction le bâtiment, les riches magasins, et les maisons voisines. Des torrents de sang couleraient, ma mémoire resterait responsable de tant de calamités, et pour qui ? Pour un Roi parjure, un Gouvernement inepte et imposé à la France par des baïonnettes étrangères. Jusqu’alors, j’avais servi fidèlement et consciencieusement, je n’avais aucune mauvaise action à me reprocher envers les Bourbons, mais ce malheureux souverain, mal conseillé, ayant violé ses serments, ne m’avait-il pas dégagé des miens ?

Un autre motif, non moins puissant, devait encore me diriger. En admettant la défense aussi belle que possible, je devais finir par succomber, car je ne pouvais attendre aucun secours de personne, et toute retraite m’était ôtée. Comment la faire, au milieu d’une population exaspérée, dans des rues barricadées, ayant à lutter contre des forces décuples des miennes, ou peut-être plus nombreuses encore ? Commencer le combat, se rendre ensuite si on voyait les chances défavorables, c’était vouloir se faire égorger sans pitié, ne devant attendre aucune générosité de la part de ceux qu’on venait d’égorger soi-même... Je faisais toutes ces réflexions, en me promenant dans la cour du quartier ; j’étais calme, je donnais mes ordres avec beaucoup de sang-froid ; mais intérieurement j’éprouvais un malaise, plus facile à comprendre qu’à définir.

Avant dix heures, je fus prévenu par tous les officiers réunis que des bandes nombreuses se portaient à toutes les casernes des environs pour désarmer les troupes qui s’y étaient