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yeux ni les traits de Madame la Dauphine. Quant à Charles X, il me fit l’effet d’un vieillard vert encore, qui inspire du respect, mais dont la figure annonce quelque chose de commun.

Ce célèbre palais de Saint-Cloud me fit ressouvenir qu’autrefois j’y avais monté la garde en ma qualité de chasseur-vélite, que j’y avais vu une cour jeune, brillante, pleine de vigueur et d’espérance. Il y avait bien encore des hommes de cette époque à la cour de Charles X, mais ce n’était plus que l’ombre de ces grands caractères, de ces valeureux officiers si célèbres par leurs grandes actions de guerre. La gloire avait fait place à l’hypocrisie dévote, les célébrités de l’Empire aux petits hommes de l’émigration, et les grandes actions de Napoléon aux intrigues d’un Gouvernement mal assis.

Le soir, je fus au Théâtre-Français voir jouer Henri III, drame en 5 actes d’Alexandre Dumas. C’était la pièce à la mode, le triomphe des romantiques. Malgré le beau talent des acteurs, le luxe des décorations et la vérité des costumes, je jugeai la pièce bien au-dessous de sa haute réputation. Du moins je n’y trouvai pas ces grandes émotions que j’avais éprouvées autrefois aux pièces de Corneille et de Racine. Mlle Mars, comme à son ordinaire, électrisa tous les spectateurs.

7 juin. — Je vais aux Tuileries voir la procession des chevaliers du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, fête de l’Ordre. Les chevaliers en manteaux de soie verte, richement brodés, chapeaux à la Henri IV, tuniques, culottes et bas de soie blancs, collier au cou, sortirent des grands appartements deux à deux pour se rendre à la chapelle, et revinrent de même dans la salle du trône. Le Roi était le dernier. Je ne pus entrer dans la chapelle pourvoir les réceptions qu’on y fit, les portes étant fermées après l’entrée des chevaliers. À la sortie, me trouvant dans le premier salon qui suit celui des maréchaux, le Roi m’adressa la parole sur le séjour du régiment à Paris. Cette promenade cérémonieuse, plus curieuse encore qu’imposante, m’intéressa cependant, parce qu’elle me mit en position de connaître une foule de grands personnages, célèbres tant par leur illustration propre, que par leur naissance, leurs titres, leurs fonctions et les services qu’ils ont rendus à l’État, et beaucoup d’anciens émigrés. Je vis là pour la première fois toute la famille du Duc d’Orléans.

Un court voyage à Charmes, auprès de sa femme, dont l’état de santé, après une amélioration passagère, est redevenu alarmant,