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Quatre ou cinq ans après, c’est un autre incident de sa première jeunesse, le seul, à vrai dire, avec les ferveurs d’humaniste encouragées par son oncle, qui ait fait sur lui une empreinte assez profonde pour demeurer ineffacée : la lecture de la Bible. On sait ce qui advint à l’un des séjours où son père, « revenant de temps en temps à Dijon, jouissait, » comme l’oncle tuteur, « des fruits des études de son fils. » Sans y être incité, ni, trop évidemment, par ses maitres ecclésiastiques, ni par son oncle, Jacques Bénigne rencontre, d’aventure, dans le « cabinet de livres » paternel, un Ancien Testament. C’est alors la secousse décisive et une sorte de révélation, véritablement [1]. — Secousse si forte qu’il s’en souvint toute sa vie ; révélation si nette qu’il en décrit le double effet en termes significatifs, que l’abbé Le Dieu n’a certes pas inventés. On se rappelle ces termes : il disait en avoir reçu une « profonde impression » de « joie » et de « lumière. » Qu’est-ce à dire ? Il était donc en quelque façon incertain et soucieux, cet adolescent laborieux dont l’avenir était assuré pourtant et tracé déjà par les précautions paternelles, et déjà pouvait se présager brillant par ses succès scolaires ? Les généralités ordinaires d’une éducation chrétienne et humaniste ne lui rendaient donc pas suffisante raison des choses de ce monde, et, dans l’empressement affairé des activités familiales qui autour de lui s’évertuaient, sa réflexion ne discernait donc pas ce « sens de la vie » que réclame plus ou moins confusément la jeunesse en partance ? Par ces tableaux bibliques des mystérieuses interventions de Jéhovah et des coups inexplicables de sa « main, » non seulement il n’est pas déconcerté, mais il est satisfait, éclairé, rendu heureux. En ces spectacles de miracle étrange, c’est la Providence qu’il voit et qu’il touche avec consolation. Est-il donc déjà de ces âmes qui ont besoin que le surnaturel leur explique la nature et les fails ?

Questions sans réponse possible, évidemment, en l’absence de documents plus nombreux touchant ces années puériles qui

  1. Le caractère fortuit de cette découverte se dégage bien du récit de l’abbé Le Dieu. Le père ne fit que « s’apercevoir » après coup que l’esprit du jeune tonsuré « se portait à une étude fort au-dessus des belles-lettres. » Voir le P. de la Broies (Bossuet et la Bible, pp. XIV-XV).