Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et une Chambre des Comptes loyalistes. Et non seulement ils assurent l’administration de « la justice du Roi, » mais ils mettent les armes à la main pour défendre le souverain légitime. Puis, lorsqu’en 1595 Henri IV, vainqueur, entrant à Dijon, veut humilier devant eux leurs collègues qui l’ont abandonné, ces dignes continuateurs de Jean Bodin, de l’Hôpital, de Jacques Bretaigne refusent noblement d’éterniser les souvenirs de haine et de sédition, tendent la main à leurs adversaires de la veille. D’ailleurs, ils gardent leur indépendance vis-à-vis de ce pouvoir royal dont ils ont assuré la victoire. Seize ans plus tard, ils défendent contre lui les libertés municipales de la cité. Ils voudraient maintenir à Dijon ce suffrage restreint des bourgeois éclairés qui leur parait la condition de la paix publique.

A son retour de Paris où il est allé plaider cette cause (1612), Jacques Bossuet est élu maire de Dijon. Et le gouverneur duc de Bellegarde ne peut se dispenser de louer le choix des Dijonnais, mais sans se tromper sur cette protestation de la liberté aristocratique et de l’autonomie communale. Maire, Jacques Bossuet a dans ses actes sa fermeté de citoyen militant. L’ancien ennemi de la Ligue morigène et réglemente les moines de toute robe, Capucins ou Jésuites, Jacobins ou Feuillants. A ce collège des Godrans où étudieront ses petits-fils, il oblige les Jésuites à fonder une nouvelle chaire de grammaire. Et c’est, semble-t-il, dans son Journal de famille, plus encore que dans celui de son fils, que le cardinal de Bausset [1] éprouvait, en le feuilletant d’une main trop légère, l’impression d’un de ces chrétiens pour qui la Bible était le livre des destins comme celui des conseils [2].

C’est aussi avec une suffisante netteté que le père de Bossuet, Bénigne Bossuet, ressort d’un passé mieux fouillé. Né vers 1592, avocat postulant, en 1612-1613, au Grand Conseil à Paris, il revient au pays et plaide au Parlement. Marié à environ vingt-six ans, il en a donc trente-cinq environ à la naissance de Jacques Bénigne. En 1624, il est « avocat général des pays et Etats de Bourgogne et Bresse, » succédant à Claude Mochet, sort beau-père. Aussi en cette année, il est échevin de

  1. Floquet, t. I, 48-52 ; Thomas, 58, 69-75, 91. Voir les autres références dans la Revue du 1er août 1919.
  2. Aux naissances d’enfants, on ouvrait la Bible et l’on recueillait un verset-horoscope. On sait celui que Jacques Bossuet nota le 27 septembre 1627, lorsque Jacques Bénigne vint au monde : Deutéronome, ch. XXXII, verset 100 : Dominus circumduxit eum, et docuit, et custodivit quasi pupillam oculi.