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revue des deux mondes.

Le plébiciste confirme un pouvoir établi ; il ne peut guère servir à susciter un pouvoir non encore existant ; une lamentable guerre civile est peut-être au bout de tout cela.

Il est clair que si le pays doit se relever, il reprendra la monarchie ; mais il est possible qu’il ne se relève pas. Le malade est peut-être trop affaibli pour le remède qui le sauverait ; le patriotisme est plus éteint qu’il n’a jamais été ; les divisions des partis n’ont jamais été plus égoïstes ; la majorité du pays qui ne pense ni ne sent, qui ne veut que s’enrichir, est arrivée au dernier degré du matérialisme et de la nullité politique. Pour les personnes qui, comme moi, ont besoin d’un sol légal, d’un état stable et accepté, pour déployer utilement leur activité, ces moments sont cruels. On ne se soutient qu’en faisant sa tâche de tous les jours, par pur sentiment du devoir.

Un petit voyage que nous avons fait à Venise et dans le nord de l’Italie, nous a fait un vif plaisir. Quelle joie de voir un pays sensé d’accord sur tous les points essentiels, attaché à son gouvernement légitime ! Les progrès accomplis dans ce beau pays que je n’avais pas vu depuis vingt-deux ans, m’ont rempli de consolation.

Que Votre Altesse me pardonne mes tristes pensées, et veuille bien agréer l’expression de mes sentiments les plus respectueux et les plus dévoués.


E. RENAN.


A Ernest Renan


4 janvier 1872.

Mon cher monsieur Renan,

Je suis heureux de la nouvelle année qui m’apporte votre aimable lettre du 1er janvier. Recevez tous mes vœux et ceux de ma femme, pour vous et Mme Renan ; votre souvenir est vivant dans notre chalet. J’ai été en retard pour répondre à une lettre de vous du 6 décembre, que j’ai reçue à Londres [1] ; elle me donne des détails que je pressentais sur votre speech au Cercle Cavour. Sans doute, un de nos plus grands maux, est que la France n’est ni droitière, ni communarde, et cependant, et de plus en plus, il n’y a que ces deux partis en présence, et c’est eux qui nous ménagent encore de si grands malheurs.

  1. Cette lettre n’a pas été retrouvée.