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Croyez-vous que le dernier message du président de la République [1] lui ouvrirait l’Académie française, s’il n’y était déjà ? Je ne sais si on va supprimer la garde nationale, mais ce qui est certain c’est qu’elle a trouvé son écrivain, digne d’elle et de ses tambours.


A S. A. I. le Prince Napoléon.


Sèvres, 2 septembre 1871.

Monseigneur,

J’ai bien tardé à dire à Votre Altesse combien ont été précieux pour moi les jours qu’Elle m’a permis de passer auprès d’Elle ; mais Votre Altesse ne peut jamais douter de mes sentiments. La sérénité philosophique de Votre Altesse, la froideur et le calme de ses jugements, la haute vertu chrétienne de Mme la princesse Clotilde, me sont apparus, au milieu de tant de spectacles attristants, comme une consolation et une espérance. Nos promenades à Saint-Cergues, à Ferney, m’ont laissé un profond souvenir. La nature et les souvenirs d’un passé meilleur font oublier les abaissements qu’on a sous les yeux.

J’ai donné ordre à mon imprimeur, de faire passer à Votre Altesse, quand elles seront corrigées, les épreuves d’un essai que j’imprime en ce moment, sur la façon dont j’entendrais la réforme intellectuelle et morale de la France [2]. J’y ai tout dit avec ma sincérité habituelle ; mais je sais que je prêche dans le désert. Je ne publie ces pages que par acquit de conscience, et pour obéir à une sorte de devoir. La réforme de notre pauvre pays devrait être une œuvre de science et de raison ; or, la science et la raison sont plus éloignées que jamais du gouvernement des choses humaines. On va de plus en plus à la médiocrité ; on ne fera rien, on ne reformera rien ; le pays s’enfoncera dans ses routines, jusqu’à ce que de nouvelles catastrophes viennent le réveiller, et celles-là même, peut-être, ne le corrigeront pas.

J’ai à peu près renoncé au projet dont j’avais touché un mot à Votre Altesse, d’un voyage de Rome vers les mois d’octobre et novembre. La situation me parait trop tendue ; je déteste les esclandres ; je craindrais qu’entre le parti clérical, qui veut paraître insulté, et le parti libre-penseur, qui se croit obligé de

  1. Message du 1er septembre 1871.
  2. La Réforme intellectuelle et morale, par Ernest Renan, membre de l’Institut. Paris, M. Lévy, 1871, 8e.