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C’était la pure vérité, mais on ne me crut pas. Le malheureux fut arrêté pour m’avoir salué, mis en automobile et amené avec moi à la « Tchrézvytchaïka. » Mon arrivée fut accueillie avec les signes de la plus grande joie. « Un grand poisson a été pris ! ... Nous avons enfin mis la main sur notre princesse !... » Telles étaient les exclamations qui arrivaient à mes oreilles, tandis qu’on me menait à la Chancellerie de la « Vé-Tché-Ka, » où tous les gros bonnets de cette charmante institution étaient déjà réunis pour me contempler et me railler. Il y avait là le commandant de la Vé-Tché-Ka, un certain Avdokhine, surnommé Michka. Ce matelot, d’aspect repoussant (sans doute une des « gloires et ornements » de la Révolution), était accompagné par son adjoint, Nikifiroff, vile créature morphinomane et cocaïnomane. Il y avait aussi le fameux Commissaire de la Mort, le matelot Térékhoff, bourreau de la « Tchrézvytchaïka, » grand de taille et assez bel homme, mais avec quelque chose de si lourd, de si brutal et de si sanguinaire dans les yeux qu’on frissonnait rien qu’à le voir. Beaucoup d’autres personnages hétéroclites se trouvaient dans cette chambre... J’étais parmi la fine fleur des « Tchékisty. »

On procéda à mon interrogatoire : on me demanda où je vivais, quelles étaient mes occupations, etc., etc. Puis, je fus menée dans la pièce voisine, où une femme me déshabilla jusqu’à la chemise et me fouilla ; après quoi je retournai à la chancellerie.

Il était évident que, me voyant parfaitement tranquille et maîtresse de moi-même, ces drôles cherchaient l’occasion de m’insulter. Ils me posaient toute espèce de questions qui n’avaient aucun rapport avec mon arrestation. Je répondais avec une parfaite tranquillité. Perdant enfin patience, Avdokhine quitta soudain le fauteuil où il se vautrait, et fonçant sur moi, il se mit à vociférer, employant des épithètes tellement grossières, que je ne puis me décider à les répéter ici.

— Savez-vous que de la canaille comme vous n’a pas de place dans la République des Soviets ! finit-il par crier. Vous êtes en vie aujourd’hui : vous pourriez bien être morte demain. »

Je me redressai de toute ma hauteur, et je le regardai bien en face. Ma grande taille, l’orgueil et le mépris qui devaient luire dans mes yeux, lui imposèrent silence : il rougit, et donna brièvement l’ordre de me mener en prison.

Mes nerfs avaient été jusque-là tellement tendus que je